Il est une histoire...

Il est une histoire...

Eléa

Weymouth Bay J.Constable.jpg

John Constable Weymouth Bay 1816/1817

 

 

L’embarcation de verre glissait lentement sur les flots, transportant à son bord une vieille femme. Ses cheveux blancs s’écoulaient sur son dos comme une cascade de glace, son visage au nez retroussé, piqueté de taches de rousseur, semblait vouloir défier la voute étoilée. Elle se leva et plongea dans les eaux glacées du lac. Battant fermement des pieds, son corps tendu comme un arc, elle s’enfonçait plus profondément dans les abysses laissant la lumière disparaitre peu à peu dans son dos. Ses jambes cessèrent de battre et se rejoignirent pour former une longue nageoire caudale. Elle ondula ainsi pendant des heures, peut-être des jours. Dans son sillage, elle croisait des cités englouties où de pauvres âmes restaient là, le visage caché entre les mains, incapable d’émerger des eaux sombres où elles s’étaient noyées jadis. Elle ne voulait pas les aider, mais plutôt planter ses crocs acérés dans la veine de leurs cous, cette veine bleuâtre qui se gonflait sous les spasmes de leurs pleurs. Accélérant sa course en avant, elle serrait les poings, les bras enracinés au corps, abandonnant derrière elle ces forteresses déchues qui aussitôt s’écroulaient. Son coeur était d’ophite et ses yeux d’escarboucle, rien n’importait plus que le chemin aqueux qui s’offrait à elle. Lorsque lui faisait face un étoc de roche, elle l’anéantissait de la courbe de son front. Son coeur était d’ophite, ses yeux d’escarboucle et sa tête de sarrancolin. Elle infléchit sa trajectoire vers la surface, sa nageoire caudale se scinda en deux jambes longilignes qui se mirent à battre les flots. Son corps fut propulsé dans les vagues d’une mer déchainée qui l’attirait, à nouveau, vers le fond puis la rejetait violemment dans les airs. Ce jeu fou de va-et-vient la fit s’échouer sur la plage, ivre de joie. Elle se releva titubante et contempla la lumière du soleil couchant qui enflammait les nuages à l’horizon puis fit volte face et aperçut, sur la cime de la falaise, une petite maison de pierre. La cheminée sur le toit de chaume, laissait échapper des volutes de fumée blanche qui l’invitaient à retrouver celui qui avait préparé le feu. Un léger coup à l’intérieur de son ventre lui fit baisser la tête, ses mains tremblantes se posèrent sur son ventre rond. Des mains à la peau lisse et des cheveux roux et bouclés tombant en cascade de flammes autour de son visage. Son coeur était de plume, ses yeux étaient de mousse et son âme était rentrée à la maison. Eléa soupira profondément et marcha, les pieds nus, sur le sable d’Irlande.

 

                                                                                             Fin

 

2015 © Flore Potier - Tous droits réservés



08/11/2014
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