Il est une histoire...

Il est une histoire...

Le portrait de Magda

 

Sur la table du salon, une vieille boite à chaussures. C’est mon père qui l’a posée avant de partir en claquant la porte. Il faut vraiment que j’arrête d’être agressive avec lui. Après tout, il n’est pour rien dans la disparition de Magda.

Je m’assois sur le canapé, les mains posées sur les genoux et durant quelques minutes je reste figée, les yeux fixés sur la boite en carton. Je me décide enfin à soulever le couvercle et je découvre à l’intérieur tout ce qui reste de la vie de ma grand-mère : quelques photos, des lettres, des bouts de papier sur lesquels je peux lire des petits mots tracés à l’encre noire ; une écriture fine, des caractères serrés les uns contre les autres. Au fond de la boite, je trouve une broche surmontée d’une fleur artificielle. L’état général est un peu défraichi mais cela ressemble à une rose trémière faite dans un tissu de velours rouge carmin. Mon regard se pose alors sur les photos que j’ai étalées sur la table basse et je prends l’une d’elles. C’est un portrait de Magda, une grande photo en noir et blanc. Elle pose de façon théâtrale, une main effleurant le bord de son chapeau noir, la tête légèrement renversée en arrière, les yeux mi-clos, la bouche aux lèvres peintes et entrouvertes sur un sourire mutin. Dans cette image en ton sur ton, le chapeau sombre est posé sur une chevelure d’une blondeur diaphane et sur son  manteau de vison blanc, comme une tache de sang, est piquée sur le coeur la broche florale.

 

Je ne la verrai jamais autrement qu’ainsi :  jeune, belle et sensuelle. Je ne la connaitrai jamais autrement qu’à travers ces photographies et les témoignages de ceux qui l’ont, pour un temps, côtoyée. Des compagnons de résistance, des hommes et des femmes d’origines juive, membres des unités de la Résistance communiste durant l’occupation allemande. C’est mon père qui m’a raconté ; il a effectué des recherches pour retrouver sa mère.

 

Leurs témoignages sont écrits dans ces lettres que je n’ai pas encore sorties de la boite, il ne voulait pas que je les lise, pas encore. J’en prends une au hasard. J’extrais de l’enveloppe une feuille de papier jaunie par le temps et je lis :

 

« Mon cher Peter,

 

J’aimerais vous aider à comprendre l’histoire de votre vie et pour cela je veux bien vous parler de votre mère. Magda pour les intimes et Magali pour notre réseau de la FTP-MOI. J’étais responsable d’une unité de renseignements au sein de la Résistance et j’avais rencontré Magda lors d’une soirée dans un restaurant parisien, avenue Franklin Roosevelt. C’était l’un de ces restaurants où se retrouvaient bourgeois, collabos, officiers de l’armée d’Occupation, mais aussi quelques résistants en recherche de missions.

Magda chantait merveilleusement et ses représentations étaient admirées de tous dans cet établissement renommé.

Ce soir-là, elle me fut présentée par Joseph Kneler, un résistant du réseau, et j’appris que nous avions une histoire de vie commune ; nous étions toutes deux issues de la bourgeoisie des pays de l’est, elle de Pologne et moi de Roumanie. Toutes deux décidées à  fuir notre pays maternel, devenu oppresseur depuis l’arrivée des nazis. Je n’en sais malheureusement pas plus concernant sa famille.

Ce que je peux affirmer c’est que sous ses airs de diva langoureuse et volatile, elle était l’une de nos meilleures agents de renseignements. Les officiers allemands étaient à tel point sous son charme qu’ils en oubliaient leur devoir de réserve et lui livraient des informations confidentielles contre une coupe de champagne, bien souvent la bouteille entière, et quelques heures en sa compagnie. Votre mère est à l’origine de bien des déraillements, que cela soit de trains mais aussi de ces messieurs de la Wehrmacht.

Nous nous sommes perdues de vue après l’exécution du groupe de Missak Manouchian et le démantèlement de notre réseau. J’ai finalement su que Magda avait été arrêtée et déportée au camps de concentration de Mauthausen à l’automne 44.

Ce que je ne m’explique pas, depuis que j’ai lu votre lettre, c’est comment elle a pu réussir à dissimuler sa grossesse et votre naissance dans cet enfer.

J’espère que vous aurez cette réponse un jour, mon cher Peter.

 

Bien à vous.

                                                                                   Bianca Boïco (Monique pour le réseau)

 

 

Je regarde à nouveau le portrait de Magda et à présent son regard me parait plus acéré sous ses sourcils tracés à la pointe d’un crayon et son sourire semble exprimer un certain mépris face à l’objectif. Le photographe était peut-être l’un de ces officiers à qui elle soutirait des informations... Je saisis une seconde lettre dans la boîte et je lis :

 

« Monsieur,

 

Après avoir lu votre lettre, je me suis dit que les miracles existaient finalement.

J’ai bien connu Magda, ou tout au moins, nous avons très vite installé une relation de sororité et d’intimité pour nous protéger l’une et l’autre. Nous nous sommes rencontrées au camp de concentration de Mauthausen durant l’hiver 1944 et notre proximité dans les lits du baraquement nous a permis de comprendre le secret que chacune essayait de dissimuler. Nous étions toutes deux enceintes.

C’est dans ce climat de terreur, où le risque d’être gazées si l’on découvrait notre état ne laissait aucun doute, que nous nous sommes rapprochées. Tant que nous pouvions travailler, nous n’attirions pas l’attention et pour tromper la vigilance des gardes, nous dissimulions nos ventres sous d’épais manteaux. Certaines femmes de notre baraquement avaient  compris la situation et nous donnaient quelques bouts de pain sur leurs propres rations.

J’ai accouché à la fin mars 1945, un mois avant votre mère. C’est Magda qui m’a aidée. Moi j’étais sans force et terrifiée à l’idée d’être abattue avec mon enfant. C’est elle qui a accueilli ma toute petite fille dans ses bras. Je n’avais pas réalisé combien j’avais crié.

À partir de ce moment, il n’a plus été possible de cacher la situation. Une femme Kapo est venue, s’est approchée de ma couche et a craché sur le sol. Magda s’est levée, a déboutonné son manteau et de ses trente petits kilos a exhibé son ventre sous le nez de la kapo. Cette dernière a écarquillé les yeux et sans dire un mot s’est retournée pour quitter le baraquement.

Les jours se sont écoulés sans que rien ne se passe, puis, à ma grande surprise, on m’a apporté un bol d’eau chaude pour que je puisse me laver ainsi que mon enfant. Les rations sont devenues plus importantes pour Magda et moi et nous avons repris espoir.

Je pense que les kapos avaient senti le vent tourner et le fait d’épargner quelques vies était certainement dans leur intérêt.

 

Quelques semaines plus tard, Magda est tombée malade. Une mauvaise bronchite qui s’est vite transformée en pneumonie. La nuit de son accouchement sa fièvre était très élevée et ses quintes de toux intensifiaient ses contractions. C’est dans son dernier souffle que vous êtes né, cher Moïse. J’ai bien lu dans votre lettre que vous aviez signé Peter, mais le prénom que Magda avait souhaité vous donner était Moïse ; L’enfant sauvé des eaux. Et c’est bien ce que fut votre arrivée dans ce monde. Les gardes sont venus prendre le corps de Magda, j’ignore ce qu’ils en ont fait. Je pensais qu’ils l’avaient déposé dans la fausse commune, mais on ne l’a jamais identifié.

 

Quelques jours après votre naissance, les Américains sont entrés dans le camp. Je n’avais plus que la peau sur les os, alors me voir avec deux petits êtres à nourrir était inconcevable pour l’état-major. Une femme en uniforme est venue vous chercher. Il était préférable qu’elle vous emmène, autrement vous n’auriez pas survécu ou ma fille peut-être. Je suis allée prendre les quelques affaires enfouies sous le matelas de Magda et je les ai données à cette femme qui vous tenait déjà dans ses bras. Il y avait peu de choses : quelques photos, des paroles de chansons qu’elle griffonnait sur des bouts de papier et une jolie broche de velours qu’elle aimait beaucoup. Elle était la plus forte et la plus joyeuse de notre baraquement et quand elle chantait, c’était comme si la grâce s’était posée en enfer.

 

Prenez-soin de vous mon cher Moïse.

 

                                                                                                          Priska

 

 

J’ai la gorge douloureuse et des larmes coulent sur mes joues. Je range le portrait de Magda, la broche, les lettres et les quelques autres photos étalées sur la table basse. Je dépose le tout dans la boite et je referme le couvercle. Il est grand temps que j’aille retrouver mon père.

 

 

                                                                                                                      FIN


11/10/2022
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La bibliothèque de l'imaginaire

Hors de notre temps,  dans une contrée où vallées et collines s’unissent à perte de vue, dans une lande sauvage où la verdure domine, se trouve

la bibliothèque de l’imaginaire. C’est une colossale tour de pierres qui s’érige vers le ciel et dont on ne peut voir la cime cachée dans les nébulosités.

Il est certainement plus agréable de rêver la tête dans les nuages me direz-vous ? Et je ne vous contredirais pas !

Pourtant, l’histoire que je viens vous conter n’est pas chose à rêver.

 

Eléanore, ce jour-là comme les autres, s’employait à ranger les divers livres, fioles et colifichets sur les étagères ou dans leurs tiroirs respectifs. L’agencement contre ses murs circulaires donnait à la tour l’apparence d’un grand cabinet des curiosités - C’est là, à mon humble avis, ce que sont les imaginations. Des mots reliés, les uns aux autres ou bien parfois, un seul mot résonnant dans l’immensité de nos vies intérieures, attendant d’être saisit, pétrit de nos mains et ancré à la page d’une nouvelle histoire. Ce sont aussi des émanations de l’enfance, des parfums ou même des puanteurs chevillés aux creux de nos narines, allant de l’amygdale à l’hypothalamus, ce petit cheval de Troie caché dans le royaume de notre esprit prêt à nous envahir et raviver notre mémoire. L’imaginaire, c’est aussi de petits objets sans grandes valeurs pécuniaires, mais pour celui qui les détient, c’est tout un univers. Un caillou, une photographie ou bien une plume d’oiseau ont parfois plus de valeurs qu’un lingot d’or – et toutes ces richesses étaient  entreposés là, dans la bibliothèque de l’imaginaire.

 

Eléanore était la bibliothécaire de la tour et tous les visiteurs, lorsqu’ils passaient la porte d’entrée étaient subjugués par sa beauté. La couleur miel de ses cheveux, sa longue natte délicatement nouée à la gauche de son cou, sa silhouette fine révélant son jeune âge et son regard tendre lorsqu’elle levait les yeux offrant à chacun le sentiment d’être unique. Cette jolie demoiselle était simple et généreuse et lorsque vous veniez vers elle à la recherche d’inspiration, n’avait de cesse que de vous satisfaire. Elle avait toujours vécu dans la tour, nourrisson abandonné devant la porte, les doyens l’avaient recueillie et instruite afin qu’elle devienne bibliothécaire. De sa fabuleuse beauté, ils ne parlaient jamais et lui donnèrent une éducation stricte mais bienveillante.

 

La tour possédait en son centre un très bel ascenseur dont les ornements de métal noirs et chantournés de la cage semblaient vouloir rivaliser avec le vieil escalier de bois qui s’élevait lourdement à ses côtés. Au sein de ce sombre et magnifique entrelac de métal se tenait une cabine lumineuse toute de bois vernis, à l’intérieur de laquelle, le visiteur pénétrant en son coeur se laissait transporter aux étages supérieurs, bercé par une petite musique d’ambiance aux notes cristallines. L’ascenseur trônait majestueusement semblant s’enorgueillir d’être ainsi admiré par son public.

 

Avant de nous rendre au coeur de cette histoire, permettez-moi cher lecteur d’être votre guide, car cet endroit mérite la visite ! Pour cela, je vous propose d’emprunter le vieux colimaçon, car tant d’arrogance dans un simple ascenseur n’est pas digne de sa fonction ! Et puis je dois vous avouer que sans lui rien ne serait arrivé ! Alors faisons honneur à cet humble perron et gravissons-le ensemble. Les marches sont ternes, certes, mais elles sont aussi larges et craquent délicieusement sous nos pieds. Le garde-corps en bois se laisse facilement attraper et nous guide en toute sécurité au premier étage.

Nous débouchons dans une salle aux murs courbes agencés d’étagères et de nombreux tiroirs qui grimpent jusqu’au plafond.

Comme au rez-de-chaussée me direz-vous ? En tout point, c’est cela !

C’est qu’il en faut des mots, des parfums et des colifichets pour parcourir l’imaginaire. La différence ici, c’est le parquet de chêne et ces fauteuils en cuir d’abhajou - ne cherchez pas dans le dictionnaire, l’abhajou n’existe pas chez vous ! - C’est un cuir doux et confortable où le visiteur, en quête d’imagination, peut se laisser aller à ses rêveries.

Descendent du plafonnier comme les araignées au bout d’un fil de soie de jolies loupiottes afin de permettre à nos yeux de voir sans en être éblouis.

Voyez-vous ?  

Dirigeons-nous vers notre cher ami l’escalier et si possible, ne laissez pas l’ascenseur vous faire dévier de votre trajectoire, je l’entends déjà monter à notre rencontre le fourbe !

Allons, allons ! Suivez-moi vers le deuxième étage.

 

Ici, nous nous élevons à un tout autre niveau et pour fouler son sol d’herbe fraîche, je vous demande d’ôter vos chaussures ainsi que vos chaussettes, car  nous sommes au beau milieu d’une clairière entourée d’arbres. La brise rieuse et discrète agite leurs feuilles comme pour vous accueillir.

Sommes-nous toujours dans une tour, vous demandez-vous ? Bien sûr, mais c’est la bibliothèque de l’imaginaire alors tout est permis…

Tout autour de nous et à perte de vue, des arbres d’origines diverses cohabitent paisiblement. Chênes, charmes, érables, châtaigniers, hêtres, frênes et merisiers, voici la forêt !

Dans la clairière, l’herbe est grasse, elle nous invite à la contemplation du ciel. Point de limite à notre regard, mais un azur d’un bleu profond sur lequel paradent des nuages dont les formes s’inspirent de nos pensées. Parfois, la voûte céleste s’obscurcit, levant le voile sur des milliards d’étoiles afin de nous offrir le vertige.

Dans cette clairière, les cycles remplacent le temps et la vie est éternelle. Voyez-vous comme le ciel change de couleur ? Vous pourriez rester ici quelques minutes et des années se seraient écoulées dans votre monde.  

Afin de ne point tarder, je vous invite vivement à reconnaître ces petites lumières qui virevoltent au-dessus des fleurs, non pas les abeilles, mais les autres.

Parmis la faune et la flore se cache le petit peuple de la nature. Des fées s’égarent et soupirent à vos oreilles, elles ne sont pas toujours tendres et s’amusent à vous picoter, vous chatouiller. Elles sont d’un naturel curieux et lorsque vous êtes là, paisiblement allongés à rêvasser à la limite du sommeil, elles se précipitent sur votre bouche, respirant votre haleine pour recueillir vos songes. Ce n’est pas une mission des plus agréable parfois, sachez-le !

D’autres créatures peuplent cette clairière, mais je ne peux malheureusement vous garder ici plus longtemps au risque que vous reveniez dans votre monde plusieurs mois après avoir commencé à lire cette histoire.

Il reste un dernier étage à visiter, les autres ne sont pas autorisés pour les simples visiteurs que nous sommes. C’est là que je prendrais le temps de vous conter l’histoire. C’est bien pour cela que vous me suivez, n’est-ce pas ?

Un peu de curiosités n’a jamais fait de mal à personne, demandez aux fées ! Enfin non, ne perdons pas de votre temps ! 

Et voilà que nous retournant, nous faisons face à notre magnifique ascenseur, toutes portes ouvertes, prêt à nous accueillir pour nous mener là-haut ! J’entends une douce musique venant du fond de la cabine…

Ne vous méprenez pas chers visiteurs ! Cet ascenseur est tout sauf accueillant ! Dans le fond de sa cage, il enrage de n’être point choisi !

Gravissons sans tarder notre bon vieil ami l’escalier et ne vous laissez pas prendre par le chant des sirènes.

 

Bien ! Nous voilà arrivés au terme de la visite et je vous invite à découvrir le solier ! Enfin dans votre langue, nous le nommerons grenier.

Je sens une petite pointe de déception au coeur de votre lecture, me trompe-je ? Comprenez bien que toute visite ne va pas obligatoirement dans la montée crescendo des émotions ! Nous ne sommes pas à Disneyland ici ! C’est un grenier exceptionnel, sachez-le !

Regardez donc autour de vous, avez-vous déjà vu un tel amoncellement d’objets en tout genre si bien rangé ?

Mieux, encore, ne reconnaissez-vous pas certains d’entre eux, comme ayant été les vôtres ?

L’ardoise magique rouge posée sur cette table basse ou juste à côté le fameux stéréoscope de votre enfance – pour ceux qui ont plus de trente-cinq ans – et le Goinfretout ! Ah non ! Celui-ci ne fait pas partie de votre monde…

Ce grenier renferme tous les souvenirs de l’enfance, de vos générations aux plus antiques, de votre monde au nôtre et à bien d’autres encore. Vous ne pourrez jamais voir tout ce qui est enfermé ici alors n’allons pas nous disperser et prenez place. Vous pouvez choisir le vieux fauteuil ou bien le tapis au sol… Il est temps que je vous raconte l’Histoire.

 

L'ascenseur qui régnait tel un monarque en la tour voyait Eléanore grandir et le défier par sa naturelle beauté. Il détestait ce petit être charmant depuis le jour où de pauvres âmes avaient eu la mauvaise idée de la laisser là, devant la porte de son antre. Dés qu'elle fut en âge de se déplacer seule et surtout d'oser pénétrer sa majestueuse cabine, il s'amusa à lui faire peur. Lorsque ses portes se refermaient sur elle, il assombrissait la lumière, son ascension se faisait plus lente, la petite musique d'ambiance qu'il réservait à son public devenait une marche funèbre et pour couronner le tout, il déformait le reflet de ses trois grands miroirs chevillés aux murs, infligeant à l'enfant une vision déformée d'elle-même. La terreur et le dégoût qu'éprouvait Eléanore, emprisonnée entre ses parois machiavéliques étaient une véritable jouissance pour lui. Au fil du temps, Eléanore comprit que quelque chose de néfaste se dégageait de cette belle machine, quelque chose qui allait au-delà de la simple mécanique, une cage dorée à l'intérieur de laquelle, la jeune fille, se retrouvait piégée ! Alors quand elle devait guider les visiteurs à travers les étages de la tour, elle proposait d'emprunter l'escalier, ce qui déchainait la fureur du monstre. La jeune fille faisait tout pour le fuir, osant à peine poser son regard sur lui. Le temps passant, chacun tenta de prendre sa place, Eléanore faisant tout pour éviter d'être prisonnière de ses murs et l'ascenseur attendant sa revanche.

 

Lorsque sa journée de travail s’achevait, la jeune fille, une chandelle à la main,  gravissait l’escalier jusqu’au quatrième étage où elle avait sa chambre. La pénombre et le silence régnaient au sein de la tour, mais au fur et à mesure que ses pieds foulaient les marches, bien avant que son pas ait atteint le premier étage, l’infernale machine se mettait à vibrer violemment et s’érigeait face à elle, toutes portes ouvertes. Cette invitation sadique se répétait à chaque étage et toutes les nuits, si bien que la jeune Eléanore, malgré la peur, finît par s’habituer à sa tyrannie. Parfois lasse, elle  s’arrêtait au deuxième étage se couchait dans la clairière quelques instants, écoutant les fées lui murmurer de doux secrets qu’elles avaient chipés aux lèvres des visiteurs. Elle laissait enfin les responsabilités de la tour s’envoler, son regard abandonné aux milliards d’étoiles. Eléanore tentait d’imaginer le visage de ses parents et son coeur se cognait contre cette même question : pourquoi l’avaient-ils abandonné ?  Les doyens avaient tenté de lui donner quelques plausibles raisons afin qu’elle ne nourrisse aucune rancoeur envers eux ou contre elle-même. Leenarts et Jasmine avaient été nommés responsables solidaires de l’enfant, lorsque la guilde avaient dû décider de son sort. Eléanore, couchée dans l’herbe revisitait souvent le souvenir de ce jour de printemps passé avec eux dans le jardin, elle venait d’avoir dix ans et les nombreuses questions qu’elle se posait sur les raisons de son abandon la faisait souffrir. “ Ils étaient certainement trop pauvres pour te nourrir et te donner une bonne instruction… ” Lui avait dit le Leenarts. 

- Mais alors pourquoi ne sont-ils jamais revenus ? La misère dessèche-t-elle le coeur au point d’abandonner puis d’oublier son enfant ? Demanda Eléanore.

-       La misère, mais plus encore la honte sont responsables de bien des maux ma chère petite, lui avait répondu Jasmine. Quelles que soient les raisons qui ont poussées tes parents à t’abandonner n’oublie pas devant quelle porte ils ont choisi de te déposer. Tu es l’unique enfant de la tour, c’est un grand privilège d’être instruite en ce lieu, dans peu de temps tu seras bibliothécaire !

-       J’ai peur de l’ascenseur, murmura Eléanore. Il me déteste…

-       Que sont ces fariboles Eléanore ! Cet ascenseur n’est rien qu’une machine, répondit Leenarts en riant. Cesse donc de t’inventer des frayeurs ! Nous avons suffisamment d’imaginations à classer dans cette bibliothèque. “

L’enfant avait alors senti la chaleur de la honte lui monter aux joues et s’était tue.

Les yeux pleins d’étoiles et de larmes, la jeune fille se relevait de sa contemplation et regagnait sa chambre poursuivit à chaque étage par son ennemi imaginaire.

 

Le jour de son seizième anniversaire, Eléanore fut nommée bibliothécaire archiviste de la tour. Cette nouvelle responsabilité consistait à classer les documents les plus anciens ou les moins consultés aux étages supérieurs à la salle du conseil située elle-même au dessus des appartements privés. Eléanore comprenait l’honneur et la confiance dont on la couvrait en lui octroyant cette fonction, puisque seuls les doyens étaient autorisés à s’élever à de tels niveaux. 

Pour cette circonstance exceptionnelle, une fête fut célébrée et la journée s’annonça joyeuse pour les visiteurs coutumiers des lieux. Dans le jardin, un banquet avait été dressé et chacun pouvait se servir parmi les nombreux mets disposés sur la table.  Eléanore se réjouissait de voir les doyens de la tour se mêler aux visiteurs, assis sur l’herbe fraîche, certains par petits groupes discutant et riant d’un même coeur. La jeune fille se prenait à rêver que le monde soit toujours ainsi, un grand pique-nique où tous, abreuvés et repus, caressés par la chaleur du soleil oublient leurs différences et les codes d’une hiérarchie bien trop austère. Mais l’image de l’ascenseur frappa son esprit et la ramena très vite à la réalité. Ce jour était exceptionnel, mais pour rien au monde, elle n’aurait osé partager ce qu’elle dissimulait dans le fond de son coeur.

Dans sa robe de lin, sa longue natte caressant la courbe de son corps frêle, elle alla s’enquérir du bien-être des uns et des autres, un magnifique sourire plaqué sur son visage. Elle se déplaçait comme une caresse parmi les noyaux d’individus formés aux hasards des rencontres dans le jardin. En chaque regard, en chaque parole échangée, elle enfouissait un peu plus profondément celui qui hantait ses pensées.

Au combien aurait-elle voulu l’enterrer à jamais !

 

Lorsque la journée s’acheva, Leenarts vint trouver la jeune fille et l’invita à le suivre, afin de prendre connaissance des nouvelles tâches qui lui seraient attribuées dés le lendemain.

“ Tu l’ignores encore, mais les archives sont en perpétuel développement, lui dit le doyen. A présent, nous classons jusqu’au dixième étage, pourtant les salles sont vastes ! La raison est que nous ne détruisons  aucune pièce témoignant de l’imaginaire. ” Tout en parlant, il saisit le chariot de bois rangé près du comptoir, celui que les doyens empruntaient à chaque nouvelle lune, pour déposer les nombreux documents destinés à être portés aux archives. Leenarts, dans sa toge de velours brun, indiquant sa fonction de grand archiviste, se déplaçait avec allégresse, un bout de papier à la main, saisissant un livre sur l’une des étagères, ouvrant quelques tiroirs pour finalement ne prendre qu’une seule encyclopédie poussiéreuse traitant de l’art de la guerre écrite en Nudeistroct, langage d’un peuple qui s’était autodétruit.

“ Plus personne ne connait le Nudeistroct aujourd’hui, alors voici une pièce de l’imaginaire que nous devons classer aux archives, mais surtout ne jamais détruire, répéta Leenarts, en déposant le livre sur le plateau. Cela suffit ! Ce soir, je te montre simplement le chemin, direction l’ascenseur !

-       Ne peut-on emprunter l’escalier ? Demanda-t-elle dans un souffle, un pauvre livre a-t-il besoin de déplacer une telle machine ?

-       Nous devons faire ainsi que tu le feras demain ! Ton chariot sera bien plus chargé, j’ai la liste dans ma main. Ce soir, je te montre la marche à suivre, mais demain, nous serons en nouvelle lune et tu ne pourras faire autrement que prendre l’ascenseur pour t’élever jusqu’aux archives… Je sais que tu l’évites depuis ton enfance, dit-il, mais

peut-être, à mes côtés sauras-tu comprendre qu’il n’y a rien à craindre de lui. Allons jeune fille ! Suis-moi ! ”

 

Joignant le geste à la parole, le doyen ouvrit la cage de métal puis la porte de la cabine et dans une révérence invita Eléanore à le précéder. La jeune fille s’exécuta, le visage de marbre, mais le coeur crispé par l’angoisse. Elle aperçut son reflet dans le miroir lui faisant face et durant un court instant eut l’impression qu’un autre visage, plus âgé, les cheveux noirs et bouclés faisait place au siens. Le regard sombre semblait la dévisager, un rictus de joie sur les lèvres. Eléanore ferma aussitôt les yeux et se détourna de cette terrible vision.  Une main toucha son épaule et la fit sursauter, mais ce n’était que Leenarts qui la regardait avec sollicitude. “ N’aie pas de crainte ma chère enfant, je suis prêt de toi et bientôt, tu apprendras à surmonter tes angoisses. Cet ascenseur était là bien avant moi et à ma connaissance personne n’a jamais eu à se plaindre de lui, bien au contraire, c’est une merveille de mécanique qui ne tombe jamais en panne ! Es-tu prête à t’élever vers ta nouvelle vie d’archiviste ? “.  Le doyen appuya sur un bouton de forme oblongue sur lequel était inscrit le chiffre six, et instantanément la petite musique d’ambiance résonna dans la cabine en même temps que celle-ci s’éleva. Le regard rivé sur la boite de commande Eléanore remarqua qu’à la droite des onze boutons indiquant les étages de zéro à dix se trouvaient deux autres rangées dénuées d’inscription.

“ Jusqu’à quel étage s’élève la tour ? Demanda-t-elle.

-       Jusqu’au dixième pour l’instant, répondit Leenarts, mais lorsque la Tour estime que nous avons besoin de plus de place un nouvel étage se crée.

-       Que dis-tu Doyen ? La tour estime ? “

 

Une légère secousse se fit sentir et une voix métallique annonça : “ vous êtes arrivés au sixième étage. “ Lorsqu’elle pénétra dans la salle, sa première impression fut l’émerveillement. Face à elle, de hautes arches de bois se succédaient les unes après les autres, encadrant une spacieuse galerie qui se perdait dans la pénombre. Dans le prolongement latéral ainsi qu’au dessus de la première arche, des étagères débordantes de livres et de boites, savamment agencées, épousaient la forme circulaire de la tour. La sensation de hauteur était vertigineuse et bien qu’elle ne pût distinguer jusqu’où s’élevaient les étagères, cachées elle aussi dans l’obscurité, elle fut persuadée que le plafond était bien plus élevé qu’aux étages inférieurs. Leenarts dans sa toge de grand archiviste, le cheveu et la barbe blancs taillés courts, les yeux noirs brillants de fierté, se tenait dans l’encadrement de la première arche. Levant les bras au dessus de sa tête, il s’exclama :

“ voici le premier étage des archives ! Imaginais-tu une telle splendeur ? “. Il se mit à marcher de long en large en faisant de grands gestes avec ses bras :

“ lorsque je suis arrivé à la tour en tant que doyen bibliothécaire, je n’aspirais à rien d’autre que pouvoir entrer aux archives. Malgré le voeu de silence que chaque archiviste doit respecter lorsqu’il prend ses fonctions, nous savions tous combien ces salles étaient immenses et resplendissantes. A l’époque de ma nomination, il y a vingt ans de cela, elles s’élevaient sur seulement neuf étages et celui-ci s’alourdissait dangereusement sous le poids des nombreux documents. En une nuit, la Tour a bâtit un dixième étage identique aux précédents ! Peut-être existait-il déjà, je l’ignore, mais ce que je sais, c’est que ce matin-là, la boite de commande comprenait un nouveau bouton gravé du chiffre dix et qu’en appuyant sur ce dernier, l’ascenseur me conduisit dans cette vaste salle encore vierge des savoirs de l’imaginaire, mais dont les nombreuses et hautes étagères ne demandaient qu’à se remplir.  Nul ne peut aller au-delà du dixième étage pour l’instant, mais lorsque cette salle sera comblée, la Tour nous offrira un nouvel étage, c’est ainsi depuis toujours.

-       Que veux-tu dire par “depuis toujours” Doyen ? Demanda Eléanore, n’y a-t-il pas eu un début à tout cela ? Qui a construit la tour, qui a posé les premières pierres ? Et depuis quand renferme-t-elle le savoir de l’imaginaire ?

-       Doucement jeune fille avec tes questions, je ne puis me démultiplier pour répondre à toutes à la fois ! Depuis toujours veut dire, depuis les premiers manuscrits rédigés par les doyens de l’époque, il y a plus de trois-cents ans, mais la Tour était déjà là et l’ascenseur aussi ! A travers leurs écrits, les doyens racontent comment ils ont décidé de créer la guilde, peu de temps après la découverte de ce lieu chargé de mystère. Ils n’étaient que de jeunes gens qui avaient décidé de braver l’interdit… Marchons un peu, si tu le veux bien, dit Leenarts. “

Ils se mirent à contourner l’ascenseur, longeant les hauts rayonnages pendant que le doyen reprenait le cours de son histoire : “ les  doyens, fondateurs de la bibliothèque de l’imaginaire étaient avant cela de jeunes gens issus du village voisin.

-       Floow…

-       Oui, Floow, où depuis des générations les anciens enseignaient aux plus jeunes qu’il était dangereux voire mortel de s’approcher de la Tour, qu’elle était maudite et que tous ceux qui avaient eu l’arrogance de se rendre là-bas, n’étaient jamais revenus. La Tour happait les êtres pour se nourrir de leur principe vital ! Ah, ah ! Quelle fadaise ! Fort heureusement, il existe des coeurs plus vaillants que d’autres, et  même s’ils ne pouvaient nier quelques disparitions, à commencer par le père de l’un d’entre eux, ils décidèrent de partir à l’assaut du monstre de pierres. Isma, celui qui n’avait plus de père, et le plus prolifique pour rédiger les manuscrits, raconte comment, avec sa femme Pâle, Hëgo, le frère de cette dernière et deux amis, Ines et Furde, ils se retrouvèrent tremblants au pied de la gigantesque Tour. Ils n’étaient que de simples paysans, armés de fourches et de couteaux, redoutant d’être aspirés ou dévorés par le monstre de pierres. Après quelques heures à ses côtés et constatant que rien ne se passait, ils approchèrent de la grande porte de bois et poussèrent tous les cinq avec vigueur. Ils pénétrèrent dans une vaste salle dont le sol était jonché de livres et d’objets de toutes sortes. Au centre, se tenait l’ascenseur, tel que nous le connaissons aujourd’hui. Ils s’approchèrent et furent éblouis par cette machine sombre et majestueuse dont la mécanique leur était, alors, inconnu. Ce fut Isma, qui le premier, osa s’aventurer à l’intérieur. Il raconte, dans les manuscrits, leur frayeur à tous, lorsque la cabine ainsi que la salle entière s’illuminèrent soudainement à l’ouverture de ses portes : “ ce fut comme si la vie reprenait son cours en la Tour “ ce sont ses mots. Ils ne mirent pas longtemps à comprendre comment utiliser l’ascenseur afin de découvrir les cinq autres étages. Ils avaient conscience que la Tour s’élevaient bien plus haut, puisqu’on ne pouvait en voir la cime depuis l’extérieur, mais ils choisirent de respecter les limites qui leur étaient imposés. Pâle, qui était un peu plus érudite que les autres dans le domaine des sciences, avait soif de comprendre quelle forme d’énergie nourrissait les lieux, mais là encore, elle dut accepter de n’en rien savoir puisque la source venait de bien plus haut.  Durant plusieurs jours se suffisant du peu de provisions qu’ils avaient emportés ils déambulèrent parmis les montagnes artificielles, saisissant un objet par ici puis un livre par là. Certaines fragrances contenues dans les fioles de verre, les plongeaient dans une sorte de songe, les ramenant dans l’enfance ou leur contant une histoire d’autres mondes. S’ils reconnaissaient certains objets d’autres, en revanche, étaient un mystère absolu, mais chaque pièce passant entre leurs mains restait une découverte merveilleuse ! La clairière fut la plus mystérieuse de ces découvertes et leur fit pleinement prendre conscience que l’apparence extérieur de la Tour ne reflétait en partie ce qu’elle était réellement.

Au bout de quelques jours poussés par la faim et la soif, les cinq jeunes gens revinrent au village où on les croyait mort. Ils annoncèrent avec fierté qu’il n’y avait rien à craindre de la Tour bien au contraire. Les anciens ne voulurent rien entendre, rétorquant que c’était un piège pour les attirer tous avant de les dévorer. Leur colère était immense et puisqu’ils avaient défiés la Parole des plus sages ils furent bannis du village. Isma et ses compagnons, déçus par l’attitude des anciens et de leurs propres familles décidèrent de s’installer dans la Tour. Les jours suivant quelques villageois, piqués par la curiosité et le désir de s’émanciper les rejoignirent et ensemble, ils commencèrent à mettre de l’ordre dans ce capharnaüm. Les plus habiles fabriquèrent de hautes étagères en bois noble sur lesquelles ils entreposèrent tous les trésors que la Tour recélait. Leur labeur dura toute une année mais l’enseignement fut immense et les éleva à un niveau de connaissance inégalable dans la contrée et toutes les autres environnantes. Ce savoir sur notre monde, l’univers et tous les univers paralèlles leur a permit de comprendre ce qu’était la clairière.

-       Ce que vous les doyens appelez Avalon ? demanda Eléanore.

-        Oui, ou Ynis Avallach, répondit Léonard, mais laisse-moi terminer mon histoire avant de me poser d’autres questions. Pâle, qui avait déjà beaucoup apprit de ses récentes lectures, expliqua à ses amis ce que pourrait devenir ce lieu, une grande bibliothèque où chacun pourrait puiser le savoir. La connaissance dont ils étaient alors dotés les ammena à réfléchir sur la manière dont ils pouvaient éclairer les consciences sachant que si tout les pouvoirs de la Tour étaient dévoilés, certains ambitieux pourraient y voir la possibilité de conquérir d’autres territoires, mais l’ignorance dont souffraient les peuples, buvant les paroles des anciens puis les relayants aux générations suivantes était inacceptable ! Alors ils décidèrent de constituer la confrérie des doyens et de faire de cette Tour, la bibliothèque de l’imaginaire. A sa création elle comprenait douze membres, six hommes et six femmes. Nous conservons précieusement le document qui uni les doyens fondateurs à la Tour et l’engagement qu’ils prirent les uns envers les autres pour protéger certains de ses secrets. “

 

Ils étaient de nouveau, devant les portes de l’ascenseur. Durant leur promenade circulaire, ils étaient passés devant trois galeries similaire à la première et Eléanore avait pu remarquer, gravé sur le fronton de chacune des arches, une rose des vents indiquant les quatre points cardinaux. Leenarts saisit le livre, toujours posé sur le chariot et se dirigea vers la galerie en entonnant joyeusement : “ Eh bien, les civilisations déchues c’est par ici ! Suis-moi donc, jeune apprentie ! “

Ils avancèrent dans le vaste corridor, passant tous les cinq mètres environ, sous une nouvelle arche qui déployait ses rayonnages comme un oiseau déploierait ses ailes, se plongeant peu à peu dans la pénombre. Leenarts frappa deux fois dans ses mains et des loupiottes, pareilles à celles de la salle de lecture glissèrent au bout de leur fil pour éclairer les lieux, pendant qu’il bifurquait dans le couloir de gauche.

“ Les déchus, les déclassés, les oubliés, tous ce triste monde n’est plus très loin… Ah voilà ! “ dit-il. Eléanore, le regard perdu dans le dédale de ces rayonnages qui semblaient ne jamais finir, tant en longueur qu’en hauteur,  se cogna contre le dos du doyen.  “ Hey ! Attention ma beauté ! “ s’exclama-t-il, puis l’air embarassé, reprit : “ Nous sommes arrivés à destination, jeune fille. “

Leenarts inséra le livre entre les subdivisions NT et NV en marmonnant :

“ Nudeistroct ! Quel nom dénué de beauté ! “ puis se retournant vers Eléanore : “ Voilà ! La classification aux archives se fait comme dans la bibliothèque, décimale pour les disciplines puis alphabétique pour les noms propres ou les auteurs. Pour le reste, tu apprendras sur le tas, comme moi ! As-tu des questions ?

-       Pourquoi m’as-tu appelé beauté ? C’est la première fois que tu m’appelle ainsi, dit Eléanore.

-       Quelle question idiote ! répondit-il. J’espérais quelque chose de plus sérieux de ta part. Je t’ai appelé ainsi comme j’aurais pu te nommer mon canard ! Allons Eléanore, cesse tes enfantillages ! Je viens de te révéler d’importants secrets concernant la Tour alors conduis-toi comme il se doit, en bibliothécaire archiviste ! Et puis cesse de provoquer l’ascenseur !

-       Que dis-tu Leenards ? Cria-t-elle, je provoque une machine ?

-       Tu provoques la Tour et sa machine ! Tu poses trop de questions inapropriées, tu te détournes de tes obligations en invitant les visiteurs à te suivre dans l’escalier alors que nous avons un magnifique ascenseur qui fait la renommée de la bibliothèque. Tu es trop belle et tu lui fais offense ! “

 

La jeune fille tremblait de tous ses membres, ne comprenant pas pourquoi la colère s’était ainsi emparée d’eux. Elle se détourna de lui et prit le chemin du retour, en fut-il passer par cette maudite machine qu’on lui reprochait de fuir. Le doyen sur ses pas, tenta de l’appaiser : “ Pardonne-moi, je m’emporte bien souvent sans véritable raisons… Tes craintes sont enfantines, mais légitimes et cette Tour est si particulière, si puissante ! Moi-même, le grand archiviste, je ne peux comprendre ce que toi, Eléanore, tu es capable de voir, mais je t’en prie, soumets-toi à sa volonté !

-       Sa volonté de me faire souffrir sans que j’en comprenne la raison ? dit-elle, se retournant vers le doyen. Jamais je ne me soumettrais à cette injustice et je comprends, à présent, que tu sais de quoi je parle, que mes craintes sont bien plus réelles que ce que vous avez tentés de me faire croire, toi et Jasmine ! Vous semblez me cacher plus de véritées que toutes celles que tu m’as raconté ce soir.

-       Tu es trop jeune pour comprendre ce qu’est cette Tour jeune fille ! rétorqua Leenarts.

-       Alors restons-en là doyen et allons nous coucher, dit Eléanore, le jour s’approche et j’ai beaucoup à faire pour satisfaire la guilde ou peut-être la Tour, qu’importe ! “

 

Dans un silence de marbre, ils reprirent tous deux l’ascenseur qui les mena aux appartements privés. Lorsque les portes s’ouvrirent une voix monocorde annonça : “ Vous êtes arrivez au quatrième étage, dormez-bien et à demain. “ Leenarts frissona à cette annonce inabituelle mais ne laissa rien paraitre.

 

 

Eléanore, ce matin là, était affairée à disposer sur son chariot les divers livres, fioles et colifichets destinés à être classés aux archives. Sur ses épaules, elle portait la pèlerine de laine bleue, offerte à chaque archiviste débutant afin qu’il supporte le froid de ces immenses salles non chauffées, mais aussi pour qu’il soit distingué dans ses fonctions, les doyens étant particulièrement attachés aux codes de la hiérarchie. Tout en se déplaçant dans la première salle, la liste, que lui avait confié Leenarts dans sa main, Eléanore guettait du coin de l’oeil un éventuel passage du doyen. Lorsqu’ils s’étaient séparés devant la porte de sa chambre, la veille au soir, Leenarts avait eu un comportement étrange avec elle, qui l’avait profondément boulversé. Avant qu’elle puisse entrer, il l’avait saisi par un bras et la faisant pivoter, l’avait bloquer contre la porte en pressant son corps contre le sien. Prenant son visage entre ses larges mains il plongea ses yeux noir dans les siens semblant chercher quelque chose, puis approchant sa bouche près de son oreille, il murmura : “ Tu changes Eléanore et cela me fait peur.  J’ai peur pour toi et ce qui pourrait t’arriver dans cet endroit si particulier, mais j’ai peur pour moi aussi… “ La jeune fille sentait le coeur de Leenarts battre vite et fort contre sa mince poitrine et son souffle chaud descendant sur sa nuque la faisait trésaillir. Cette excitation qui se propageait sur toute la fleur de sa peau lui était inconnue, mais les papillons qui s’agitaient dans son bas ventre semblaient lui indiquer ce qu’elle devait faire. Elle chercha sa bouche mélant son haleine à la sienne et durant un court instant, leurs lèvres s’effleurèrent. Le doyen se rejeta en arrière, le souffle court et les yeux comme des obsidiennes. “ Je ne peux pas ! Même si le désir me brûle le corps, c’est impossible ! Tu devrais quitter cette endroit Eléanore, avec ton instruction, tu peux vivre n’importe où dans la contrée et enseigner…

-       Mais je ne veux pas quitter la Tour !, dit-Eléanore en s’approchant de Leenarts.

-       Tu es si belle, mais si naïve sur les choses de l’amour, répondit-il en caressant sa joue. Allons nous coucher sagement mon enfant et laissons la nuit nous porter conseil, tu veux bien ? “ Et sans attendre une réponse de sa part, il se détourna et s’éloigna dans le corridor.

 

La jeune fille avait alors oubliée sa méfiance et ne put dormir de la nuit tant ses pensées étaient dirigées vers lui et son corps ayant étreint le sien. Lorsque son souffle chaud s’était glissé sur sa peau de lait, lorsque sa voix avait révélée son grain profond. Dans la chaleur de son lit Eléanore avait imaginé ce qu’elle aurait ressenti si leur baisé s’était prolongé, si les mains de Leenarts avaient suivies le cour naturel de leur désir commun. Au petit matin, elle s’était enfin endormie épuisée de désir.

 

Son travail effectué dans la première salle de lecture, elle poussa le chariot en direction de l’ascenseur, la machine était resplendissante dans son apparât de métal et de bois. Eléanore posa son regard sur le vieil escalier puis sur le chariot déjà lourdement chargé et dans un profond soupir ouvrit les portes de l’ascenseur. La cabine s’illumina aussitôt jouant sa petite musique d’ambiance, c’était toujours la même – hormis lorsqu’elle s’était retrouvée, enfant, entre ses quatre murs – une mélodie courte et rébarbative, un xylophone ou une harpe de verre… Difficile à déterminer. Poussant son chargement dans la cabine, la jeune fille évita de regarder son reflet dans le miroir et se retourna pour appuyer sur le bouton du premier étage, sa liste dans la main, elle était loin d’avoir terminé sa besogne, mais avant que son doigt ait pressé le bouton, un visiteur surgit devant elle. Il ouvrit les portes un large sourire sur son visage sillonné par la vieillesse, et se glissa à ses côtés. C’était Albhert, un habitué des lieux qui aimait se rendre dans la clairière pour rêvasser et force était de constater qu’il s’y était bien souvent endormi. “ Bonjour ma belle ! Dit-il, enjoué, je vois que tu as prit du grade. Cette pèlerine bleue te va à ravir, elle révèle le ciel dans tes yeux. “ Il appuya sur le bouton du premier puis du deuxième étage et l’ascenseur entama son ascension. “ Tu sais Eléanore, au delà des bois qui entourent la clairière, se trouvent de vastes mondes ! Les doyens nous interdisent, à nous simples visiteurs, d’entrer dans la forêt sous peine de se perdre à jamais, mais moi, j’y suis allé et comme tu peux le voir de tes beaux yeux azur, j’en suis revenu ! Ne crains pas la forêt Eléanore. “ La machine s’ébranla : “ vous êtes arrivé au premier étage. “ Le vieux bonhomme ouvrit les portes de la cabine et lorsqu’elle passa prêt de lui, repéta dans un souffle  “ ne crains pas la forêt ! “ Puis il referma les portes sur lui et l’ascenseur reprit sa progression. La jeune fille resta dubitative un court instant puis haussant les épaules, poussa son chariot dans la salle de lecture. En ce milieu de journée, quelques visiteurs étaient assis dans les larges fauteuils, un livre entre les mains ou le nez au-dessus d’une fiole, certains pleuraient silencieusement en serrant un objet contre leur coeur. C’était le lieu que préférait Eléanore, tant le silence et un profond sentiment de recueillement régnaient dans cette salle aux lumières tamisées. Elle ne pouvait s’empêcher de penser à celui qui, la veille au soir, était son doyen responsable puis en l’espace d’un instant s’était révélé être l’homme qu’elle désirait au plus profond d’elle-même. Où pouvait-il être à présent ? Avait-il prit le temps de réfléchir comme il lui avait conseillé de le faire ? Leenarts était plus âgé qu’elle, mais dans la contrée ce genre de différence en amour était chose courante, elle sentait encore son souffle chaud dans le creux de  son cou. Le problème pouvait se poser concernant sa position hiérarchique au sein de la Tour. La Tour… Eléanore se redressa subitement du fauteuil où elle s’était assoupie. La guilde n’accepterait certainement jamais leur amour naissant, elle devait trouver Leenarts et lui parler ! Mais avant cela, elle devait s’acquitter de sa tâche afin de prouver à la guilde, qu’elle était digne de ses fonctions. Le coeur emplit d’espoir, elle se remit au travail durant le reste de la journée et jusqu’à ce que les derniers visiteurs aient quittés la bibliothèque. Lorsque son chariot fut comblé de tous les documents qu’elle devait porter aux archives, Eléanore fière de sa première journée de labeur et amoureuse du grand archiviste, se dirigea vers l’ascenseur afin de classer tous cela aux étages supérieurs. Elle en aurait certainement pour la nuit, mais si le travail était bien fait, alors les doyens pourraient lui faire confiance. Poussant son lourd chariot, elle se retrouva face à l’ascenseur les portes grandes ouvertes. “ Je ne vais pas te fuir cette fois ! “ Dit-elle puis entra. Elle devait classer les documents les plus récents au dernier étage alors elle appuya sur le bouton du dixième étage. L’ascenseur entama sa progression, sa petite musique d’ambiance tournait en boucle, la jeune fille restait sur ses gardes, mais rien ne semblait à craindre. Ce fut à cet instant que la cabine stoppa sa course au sixième étage, les portes s’ouvrirent  d’elles même et dans la vaste salle des archives, Eléanore aperçut Leenards qui s’affairait comme elle à ranger livres et objets. Lorsqu’il se tourna vers elle, leurs regards se croisèrent un court instant, un sourire se dessina sur sa bouche. La jeune fille voulut s’avancer vers lui mais les portes se refermèrent violemment devant elle et une voix monocorde annonça : “ tu n’es pas arrivée à ta destination Eléanore. “ Puis l’ascenseur reprit sa progression. L’espace d’un instant, elle lut dans les yeux de Leenarts, qui n’avait pas bougé, qu’il savait. Elle colla son visage contre la vitre froide de la cabine puis ferma les yeux.

 

Ce matin-là, Leenarts était dans la salle du conseil, seul, le corps affaissé sur une chaise, le visage caché entre ses larges mains. Jasmine entra dans la pièce et s’approcha de lui. “ Le chariot d’Eléanore vient d’être retrouvé dans l’ascenseur encore chargé des documents qu’elle devait classer au dixième étage… Il n’y a aucune trace d’elle, à part sa pèlerine abandonnée sur le sol…  C’était inévitable. “ Le corps de Leenarts se contracta puis s’abandonnant à son chagrin fut secoué de profonds sanglots. “ Je l’ai trahi Jasmine, gémit-il, je l’ai abandonné à la volonté de Frayä…

-       Ressaisit toi Leenarts ! La Tour importe plus que tes états d’âme ! Eléanore n’avait pas sa place ici et ton désir pour elle n’a fait que précipiter les choses. En la voyant grandir, j’étais certaine que tu ne résisterais pas, tu n’aurais jamais dû l’aimer ! Nous appartenons à Frayä corps et âmes, c’est l’alliance entre la Tour et nous. “

-       Maudite sorcière ! Cria Leenarts. “ Il se leva d’un bond, le visage ruisselant de larmes et poussa violemment Jasmine en quittant la pièce.

 

Nul ne revit Eléanore depuis ce jour, mais tous les visiteurs qui osent encore parler d’elle, vous diront combien elle était belle et généreuse. Le grand archiviste a repris ses fonctions au sein de la Tour et semble avoir surmonté son absence, mais à votre place, je me garderais bien d’aller lui mentionner son nom ! L’ascenseur est tel que nous l’avons croisé il y a quelque temps, superbe et vide de sens, une machine hantée par un esprit possessif et cruel, Frayä la Folle, Frayä la sorcière de la Tour !

 

Eh bien, mon histoire est fini ! Qui de vous souhaite emprunter l’ascenseur pour redescendre ?

 

                                                                                  Fin


24/12/2016
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03/05/2016
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L'aventure extraordinaire de Léo dans le ventre de maman



 

Essai illustration peinture collage1.jpeg

 

EXTRAITS 

(cette histoire peut être personnalisée avec un autre prénom)*

 

 

 

Tout a commencé lorsque Léo a senti l’eau.

Cela frémissait, le caressait doucement

Il ondulait dans une eau chaude et câline.

Puis il a senti la matière.

C’était ferme et tendre, à la fois.

C’était autour de l’eau

C’était autour de lui

Mais c’était aussi lui !

Léo sentait l’eau douce qui entrait dans son corps

Lui offrant de délicieuses sensations

Des goûts de sucre, des goûts de sel

Et cette saveur exquise caressant son palais

Aux arômes délicats de noisette et chocolat

...

 

Tous ces bruits, à présent, rythmaient son univers

Ça battait, gargouillait et murmurait des mots d’amours

C’était une musique qui le faisait danser

Léo roulait sur lui-même

Ondulait, gigotait, frétillait

Collait sa tête aux parois de sa bulle

Pour sentir la chaleur d’une caresse

 

Comme il aimait ce monde !

Mais bien des mystères restaient à découvrir

Comme cet autre murmure qui résonnait parfois

Plus profond et plus grave

Se prénommant papa

...

 

Dans une dernière pirouette Léo choisit son nid 

Il se posa confortablement la tête en bas

Le dos lové au velours de sa bulle

Il attendit…

Patiemment que passe le temps

Léo sentait, goutait, touchait

Mais surtout écoutait !

Ces murmures qui étaient devenus des mots

Ces mots qui racontaient des histoires

Comme l’aventure extraordinaire de Léo

Que je te lis en cet instant…

Mais aussi des histoires de cet autre monde

Qu’il allait bientôt découvrir

 

Tous droit réservés ©FlorePotier

*Pour personnaliser l'album, lire le formulaire en page d'accueil


20/04/2016
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L'aventure extraordinaire de Meï dans le ventre de maman



 

 

Essai illustration peinture collage1.jpeg

 

EXTRAITS 

(cette histoire peut être personnalisée avec un autre prénom)*

 

 

 

Tout a commencé lorsque Meï a senti l’eau.

Cela frémissait, la caressait doucement

Elle ondulait dans une eau chaude et câline.

Puis elle a senti la matière.

C’était ferme et tendre, à la fois.

C’était autour de l’eau

C’était autour d'elle

Mais c’était aussi elle !

Meï sentait l’eau douce qui entrait dans son corps

Lui offrant de délicieuses sensations

Des goûts de sucre, des goûts de sel

Et cette saveur exquise caressant son palais

Aux arômes délicats de noisette et chocolat

...

 

Tous ces bruits, à présent, rythmaient son univers

Ça battait, gargouillait et murmurait des mots d’amours

C’était une musique qui la faisait danser

Meï roulait sur elle-même

Ondulait, gigotait, frétillait

Collait sa tête aux parois de sa bulle

Pour sentir la chaleur d’une caresse

 

Comme elle aimait ce monde !

Mais bien des mystères restaient à découvrir

Comme cet autre murmure qui résonnait parfois

Plus profond et plus grave

Se prénommant papa

...

 

Dans une dernière pirouette Meï choisit son nid 

Elle se posa confortablement la tête en bas

Le dos lové au velours de sa bulle

Elle attendit…

Patiemment que passe le temps

Meï sentait, goutait, touchait

Mais surtout écoutait !

Ces murmures qui étaient devenus des mots

Ces mots qui racontaient des histoires

Comme l’aventure extraordinaire de Meï

Que je te lis en cet instant…

Mais aussi des histoires de cet autre monde

Qu’elle allait bientôt découvrir

 

Tous droit réservés ©FlorePotier

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08/12/2015
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