Il est une histoire...

Il est une histoire...

Autobiographie/fiction


La fugue

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                                                                                     PHOTO CHRIS MUIR

 

                                                                   I

 

 

Nous entrons dans le bureau du juge des enfants, mon père, ma mère, ma sœur et moi. 

Derrière une montagne de dossiers est assise une femme mince au visage impassible. Elle toise mes parents un bref instant et replonge son nez busqué dans ses papiers en nous invitant à nous asseoir. Sa voix est haute comme si elle se pinçait le nez pour parler. Nous nous asseyons, mes parents devant, ma sœur et moi en retrait. La femme juge toujours concentrée sur son dossier, se saisit d'un papier quelques instants, le repose puis en reprend un autre et ainsi de suite durant, ce qui me semble, une éternité. Mes parents sont silencieux, je les sens mal à l'aise, empruntés. Ma mère lourde et lasse se dandine légèrement ne sachant pas  sur quelle partie de ses fesses elle est la plus confortable.
Elle fait toujours cela, qu'elle soit debout ou assise, elle se dandine, d'un pied sur l'autre, d'une fesse à l'autre. On croirait qu'elle est posée sur un tas de punaises... Parfois, Nina, ma sœur, s'amuse à l'imiter en accélérant la cadence, ce qui me fait bien rire.
Enfin la femme juge lève le nez et regarde sévèrement mon père.

" Monsieur Chevallier, si j'ai bien compris la situation, vous avez quitté le domicile familial et vous résidez actuellement au 12 rue du Général De Gaule, dans la même ville avec une nouvelle compagne et un enfant que vous avez reconnu. Et cela depuis 6 mois... Elle prend une profonde inspiration avant de reprendre, — Vous rendez-vous compte, monsieur Chevallier, que depuis ces six derniers mois vos filles sont livrées à elles-mêmes ? Sachant que madame Chevallier, qui est encore votre épouse, est malade et n'est donc pas en mesure de s'occuper des enfants ?

Je regarde Nina du coin de l'œil et son propre sourire en dit long sur ce qu'elle ressent. Elle tourne sa tête vers moi et la situation devient dangereuse, car je la vois étouffer un début de fou rire. Oh non Nina ! Ne ris pas ou je vais exploser de rire avec toi ! Je regarde alors mon père qui ne m'a jamais paru aussi droit et silencieux qu'en cet instant.

" Que souhaitez-vous faire monsieur Chevallier ? Abandonner vos droits parentaux ?" , la voix de la femme juge est encore plus haute semblant contenir sa colère. Va-t-elle exploser de colère et nous de rire ? Je tourne ma tête plus à gauche pour rester concentré et j'aperçois le petit cadre accroché au mur. Au centre de ce cadre, le dessin à l'encre noir d'une petite fille qui pleure... Son visage est tordu, déformé par le chagrin et de grosses gouttes noires couvrent ses joues rebondies.

— Oui, répond-il. Je regarde mon père, je ne vois pas son visage, seulement ses cheveux grisonnants, son dos droit et frêle, mais je perçois un léger tremblement dans tout son corps, qui vient de me renier. Je le savais, il nous l'avait dit à Nina et moi. Sa vie avec nous était devenue insupportable. Il avait rencontré une autre femme, lui avait fait un enfant, un petit garçon. Un soir, dans notre sombre cuisine familiale, il était venu nous annoncer sa décision de nous quitter pour aller vivre une nouvelle vie. Il avait décidé de faire une croix sur nous. Une croix comme on barre une faute, j'imagine.

 

 

— Bien ! Alors, au vu de votre décision d'abandonner vos droits parentaux sur vos filles et compte tenu de l'état de santé mental de votre femme, j'ordonne que votre fille ainée, Nina Chevallier, qui sera majeure dans un mois puisse décider par elle-même de sa propre voie. Concernant la petite Lucie, en âge de treize ans, j'ordonne un placement en foyer au plus prés de votre domicile, afin que vous puissiez la prendre durant les week-ends et les vacances."


Quoi ?
Mon père ne dit rien, ma mère se tait. Pourtant, ils savent que je veux aller vivre avec mon frère ainé. Avec lui ou près de lui, mais surtout ne pas rester avec eux !
Je regarde la Juge et je tente un  —Heu... Je préfère aller chez mon frère...
Elle ne semble pas m'entendre et continu 
— Le placement sera effectif dès le 15 janvier prochain, c'est-à-dire dans dix jours. Nous vous informerons sur la structure d'accueil dans un prochain courrier. Il faudra certainement qu'elle change de collège en fonction du lieu où elle sera placée. D'ici là, je veux que votre fille soit à l'école de manière assidue !

La femme Juge continue de parler les yeux plongés dans ses papiers, bien que par instant, elle relève le nez pour poser un regard froid sur mon père puis sur ma mère. Je vois sa bouche, ses petites lèvres blanches et pincées se tordre, articuler des mots, mais je n'en comprends plus le sens. Pourtant, sa bouche dit mon prénom, mais je ne me reconnais pas, je me sens comme un objet ou plutôt une chose indistincte. Son regard ne croise pas le mien. Je vois mes parents se lever ainsi que ma sœur qui me regarde tristement. Le rendez-vous est terminé, nous pouvons partir. Lorsque mon père se retourne pour quitter la pièce, son visage est blanc, ses traits sont contractés par la colère, il ne me regarde pas lui non plus et me bouscule légèrement en passant à côté de moi. Il passe la porte, ma mère se traine derrière lui et ma sœur les suit. Je reste là, debout et seule devant le bureau. En fait, je ne sais pas si je dois partir avec eux ou si je dois rester ici, avec elle. La Juge est, à nouveau, plongée dans ses lectures. Je sens une main légère tirer mon bras et lorsque je me retourne, je croise les yeux rougit de Nina qui me murmure — Viens "

 

                                                         

                                                     II

 

 

Je rentre du collège avec Marie-Rose et la cigarette que nous fumons me tourne légèrement la tête. J'aime bien cette sensation !
Lorsque j'arrive à la maison, je vois une personne assise prés de ma mère dans le salon. C'est une petite femme aux cheveux courts et grisonnants qui se lève et vient vers moi en souriant. Derrière son épaule j'aperçois ma mère assise sur le canapé, l'air absent. La femme tend ses bras et approche son visage du mien pour m'embrasser. Je ne la connais pas ! Lorsque je recule pour éviter son baiser, elle me saisit la main. Je sens la sienne humide et la mienne fébrile.

" Bonjour, je m'appelle Annie, je suis ta nouvelle éducatrice référente. Ta journée s'est bien passée ?

 

Une éducatrice ? Je n'en ai jamais eu auparavant... Je retire doucement ma main de la sienne. Je cherche Nina, mais je ne la vois pas dans la pièce. La femme soupir et me dit presque en murmurant.
— Je vois que tu n'as pas été prévenue et j'en suis désolée. Nous avions pourtant envoyé un courrier à la nouvelle adresse de ton père ainsi qu'à ta maman, qui m'a dit ne pas s'en souvenir... Bref ! Ma petite Lucie, je suis venue te chercher aujourd'hui pour t'emmener dans un foyer de l'aide à l'enfance qui se trouve à Arfeuilles, c'est à trente kilomètres de chez toi. Tu pourras revenir les week-ends ainsi que les vacances chez ton père, ainsi que chez ta maman de temps en temps.
Je sens mon cœur qui se met à battre très fort. Je ne comprends pas ce que me veut cette femme ! Je n'aime pas son air gentil, sa douceur alors qu'elle me dit vouloir m'emmener dans un endroit inconnu, un foyer. 

Mais où est donc Nina ?
Je regarde par-dessus son épaule, je cherche le regard de ma mère, mais elle ne semble pas intéressée par ce qui se passe ici. Son regard est perdu dans la contemplation des fleurs du papier peint, sa main suspendue dans le vide tient entre ses doigts l'éternelle cigarette consumée jusqu'au filtre ne laissant qu'un tube de cendre froide prêt à s'effondrer sur elle. Je sais qu'elle ne me sera d'aucun secours, qu'elle n'opposera pas de résistance à celle qui veux m'emmener. Quant à mon père, je ne l'ai pas revu depuis notre rendez-vous dans le bureau de cette femme juge.

Lorsque nous sommes entrés dans la voiture, il était très en colère après

" cette salope qui m'a humilié !" criait-il. Il a reproché à ma mère d'être incapable de nous surveiller, surtout moi qui manquais trop souvent l'école. Ma mère s'est mise à pleurer, alors il n'a plus rien dit pendant le reste du trajet. Lorsqu'il a garé la voiture devant notre maison il est resté assis, les mains sur le volant. Ma triste mère lui a demandé s'il rentrait avec nous et mon père a soupiré. Un soupir pour toute réponse, mais ses mains fermement accrochées aux volant ont répondu que non. 

Depuis il n'est pas revenu, n'a pas téléphoné. Il a fait une croix sur nous.

— Lucie, je sais que ta situation est difficile, mais je te promets que là où je t'emmène, tu seras bien. C'est un foyer avec d'autres enfants de ton âge, les éducateurs sont très gentils et à votre écoute. Ici tu es seule, tu ne manges pas à ta faim et vous n'avez même plus l'électricité... Tu vois bien que ta maman n'est plus en état de s'occuper de toi et ta sœur est très souvent chez des amies. Tu ne peux pas continuer à vivre ainsi, n'est-ce pas ?

Sa voix est si douce. C'est vrai qu'il fait froid ici et que les soirées sont tristes à la lumière des bougies. Parfois, je vais rejoindre Nina qui dort à droite, à gauche chez ses copines et j'en profite pour manger lorsque les bons d'alimentations sont épuisés et que les placards de la cuisine sont vides. C'est le cas aujourd'hui.
Je regarde la femme éducatrice aux fonds des yeux... Elle semble sincère et me sourit.

— Je vais préparer un sac avec mes affaires. Je pourrais revenir ici ce week-end ?
— Bien sûr Lucie.

Après avoir fait mon sac pour les deux prochains jours, je passe par la chambre de Nina pour récupérer mon walkman, quelques cassettes et lui écrire un petit mot. En cherchant un morceau de papier, mes yeux se posent sur une enveloppe qui porte le tampon du tribunal. Je sors la feuille de l'enveloppe déjà ouverte et en lisant le contenu mon cœur se sert... Nina sait que je dois partir aujourd'hui, elle sait que cette femme est venue me chercher et elle ne m'a rien dit, n'est même pas là pour l'en empêcher ou seulement me dire au revoir.
Je quitte la chambre sans rien écrire pour elle, je quitte la maison sans embrasser ma mère. Je suis cette femme qui m'emmène ailleurs. 

Ailleurs est certainement moins pire qu'ici.

 

 

                                                         

                                                                   III

 

 

Nous sommes assises dans la salle de télévision. Alondra sur l'unique fauteuil et moi à même le sol. Les autres filles, une demi douzaine, se sont regroupées dans le grand canapé et je les entends chuchoter et rire. Je ne me sens pas à ma place ici. Une odeur désagréable se dégage d'Alondra, une odeur de sexe pas lavé. Pourtant, nous avons dû prendre notre douche et nous mettre en pyjama pour être autorisées à venir regarder la télé quelques minutes avant le coucher, ce sont des règles à respecter.
Je suis arrivée hier soir et lorsque je me suis retrouvée dans le bureau de Denis, le chef éducateur, juste après le départ d'Annie, j'ai reçu de sa bouche une bonne dizaine de règles, qu'il m'a énuméré gravement, solennellement. Je dois les respecter " pour la bonne harmonie au sein de notre foyer " a-t-il dit.
Je partage une chambre avec Alondra et une autre fille, Mélanie. Lorsque je suis arrivée, elles sont toutes deux, venues vers moi pour me poser un tas de questions : comment je m'appelle, mon âge, pourquoi je suis là et aussi quel est mon groupe de rock préféré ou si j'ai déjà eu un copain... J'étais tellement fatiguée par leurs questions que je me suis vite endormie.

Le matin, en me réveillant, j'ai réalisé que je n'étais plus chez moi. Une jolie femme est venue me caresser la joue. Sur le moment, j'ai eu peur de voir son visage au dessus du mien puis j'ai senti sa main douce.
" Bonjour Lucie, je m'appelle Laurence, m'a t'elle dit, je suis ta nouvelle éducatrice. C'est l'heure de te lever pour prendre un petit-déjeuner et découvrir ton nouveau collège.

Quoi ?
Je dois aller dans ce collège aujourd'hui ?
Hier encore j'étais avec Marie-Rose sur le retour de l'école, je ne savais rien du lendemain où je devrais me réveiller dans cette chambre et je dois, en plus, affronter un nouveau collège ?
— Je ne veux pas y aller, je veux rentrer chez moi !
-— Mais maintenant, c'est ici chez toi, m'a dit Laurence.

Malgré mon refus d'aller dans cette école j'ai vite compris que je n'avais pas le choix. Denis est venu me voir dans la chambre pour me dire que si je refusais d'obéir, je serais punie et interdite de sortie ce week-end. Alondra m'avait bien dit que les pensionnaires appelaient le foyer "Alcatraz" et je commence à comprendre pourquoi.
Alors sous la menace d'une privation de liberté, je suis allée dans leur foutu collège ce matin, un endroit pire que celui où j'allais avant. Je me suis retrouvée dans une classe de débiles mentaux, plus excités les uns que les autres et des profs dépassés par le nombre. J'ai surmonté cette journée en m'accrochant à l'espoir que j'allai retourner chez moi dés demain ! Lorsque je suis rentrée au foyer, le chef éducateur m'a convoqué dans son bureau pour me dire que j'avais une nature à me rebeller, alors " pour une bonne adaptation au sein de notre foyer " je devais rester ici ce week-end.
Mais ça, je ne l'accepterai pas ! Je ne les laisserai pas m'enfermer dans cette prison. Il est tant que je parle à Alondra et Mélanie de mon projet d'évasion. 

 

                                                                     

                                                                       IV

 

 

Comme je me sens bien maintenant ! Je marche sur cette route en direction de la Nationale 10 et mon walkman me balance "Take on me" de Aha,.j'adore ce morceau ! Et j'adore être libre, parcourir les routes en auto-stop. Je l'ai déjà fait pour venir ici en balade à Arfeuilles ou pour aller en boite de nuit avec Nina et ses copines. Cela ne me fait pas peur, au contraire ! J'aime beaucoup rencontrer les gens, discuter de leur vies. Dans l'intimité de leur voiture. Ils aiment parler d'eux mêmes, c'est souvent des histoires compliquées, divorces, conflits de voisinages et bla bla bla, mais ! C'est toujours passionnant pour moi de comprendre la vie des gens.

Mon évasion d'Alcatraz s'est bien passée !
Hier soir lorsque nous avons regagné notre chambre, j'ai attendu que Denis passe pour l'extinction des feux, puis dans la pénombre, à voix basse, j'ai expliqué aux filles, mon intention de fuguer dès le lendemain matin. Pour cela, j'avais besoin d'elles. Alondra s'est aussitôt redressée sur son lit, très excitée par mon projet.
" Ah ouais, ouais ! Ça, c'est génial !
— Baisse-le ton, Alondra ! Ils risquent de t'entendre et ça ferait capoter mon plan ! Lui ai-je dit fermement.
Alondra est une fille costaude et j'ai peur de la vexer parfois, mais au lieu de cela elle a murmuré des excuses. J'ai compris que ma décision de

" m'évader" l'impressionnait beaucoup, alors je me suis sentie plus forte que jamais. Mélanie ne disait rien, mais je savais qu'elle écoutait.
— Voilà le plan ! Demain matin, Alondra et moi, on se prépare pour partir au collège. Puisque la fenêtre de notre chambre donne dans la rue, une fois passée la grande porte, Mélanie ! Toi qui commences plus tard, tu te tiens prête et dès que nous sommes dehors, tu m'envoies mon sac de voyage par la fenêtre. Mélanie, tu m'as bien dit que tu commençais les cours à neuf heure demain ?
— Oui, répond-t-elle faiblement, mais Lucie ! Si tu t'enfuis, ils te rattraperont et après tu ne pourras plus rentrer chez toi pendant des semaines, peut être des mois. Ce sera pire que d'être punie un week-end.
— Personne ne pourra me rattraper et puis je ne sais pas si j'ai encore un chez-moi, mais ce que je sais, c'est que je ne peux pas rester enfermée ici, je dois m'enfuir, prendre la route. Je n'ai jamais été enfermée, tu comprends ? 

J'ai eu faim et j'ai eu froid, mais j'ai toujours été libre de sortir. Si j'arrive à m'enfuir demain alors je ne reviendrai jamais !
J'ai senti la respiration de Mélanie et ses soupirs qui m'indiquaient qu'elle réfléchissait et certainement se résignait à me faire changer d'avis. Finalement... 

— je le jetterai ton foutu sac de voyage et bon voyage ! 

Alondra, si excitée avant notre conversation était déjà endormie.


Je serai bientôt sur la Nationale et j'ai l'impression d'avancer sans toucher le sol, j'ai des ailes à mes pieds ou quoi ? J'aurais dû remercier mes deux braves complices avant de m'évader. Sans elles, je n'aurais pas récupéré mon sac de voyage, même si je ne l'ai plus avec moi en cet instant.

J'ai senti la même caresse sur mon visage et en ouvrant mes yeux lourds de sommeil, j'ai reconnu le visage de Laurence au dessus du mien.
— Prête pour une nouvelle journée d'école, cette fois ? Sa question m'a complètement réveillé et en la regardant, je ne pouvais m'empêcher de penser combien elle était vicieuse avec son sourire carnassier qui m'évoquait sa pensée. Vas-tu te courber sous l'autorité maintenant ? Je me suis redressée et Laurence, sans attendre ma réponse, est sortie de ma chambre pour continuer d'offrir ses caresses et ses sourires à ses petits détenus. Assise dans mon lit, j'ai observé la situation. Mon sac de voyage était posé sous la fenêtre, Alondra déjà partie pour prendre son petit déjeuner et Mélanie était assise sur son lit me regardant tristement. Je me suis levée d'un bond et m'approchant d'elle :

— Tu es toujours partante ?
— Dans une demi-heure ton sac sera sur le trottoir, alors dépêche-toi !
J'ai posé un baisé sur son front et je suis allée m'habiller. Lorsque j'ai rejoint Alondra dans le réfectoire, elle était joyeuse et mangeait ses tartines avec appétit. J'ai pris un bol de café et je me suis assis face à elle. Alondra, la bouche dégoulinante de chocolat au lait, ne cessait de me faire des clins d'œil et cela m'agaçait. Je me suis levée et je suis allée l'attendre près de la grande porte. Lorsqu'elle est enfin arrivée, elle était accompagnée du chef éducateur et mon cœur s'est mit à cogner violemment. Arrivé à ma hauteur Denis m'a souhaité une bonne journée avant de bifurquer vers le bureau des entrées pour appuyer sur le bouton automatique qui ouvre la grande porte. Alondra, le visage rouge de confusion est sortie avec moi et le claquement s'est abattu derrière nous. Nous étions là, dehors, dans la rue et lorsque j'ai levé la tête, j'ai vu mon sac de voyage au bord de la fenêtre, trois étages au dessus prêt à me tomber dessus. J'ai ouvert mes bras, mais Alondra m'a poussé sur le côté et l'a reçu à ma place. Elle a vacillé légèrement puis s'est stabilisée, mon sac dans ses bras, le sourire fier découvrant ses dents cariées. Je savais que nous n'avions pas le temps de parler, un enfant pouvait sortir d'une minute à l'autre ou pire que cela, un éducateur, alors j'ai saisi le sac et j'ai dit :
— Vas t'en maintenant !
Alondra m'a regardé, son sourire s'est effacé et fronçant les sourcils, ne semblait pas comprendre.
— Vas t'en ! On pourrait nous prendre. Va ! Mes mots étaient durs et froids, mais j'avais peur. J'avais peur que la porte s'ouvre et que Denis nous voit toutes les deux plantées là sur le trottoir avec mon sac de voyage.
— Salut ! M'a dit Alondra, avec une triste mine puis elle est partie. J'ai pris la direction opposée. J'ai marché vite dans les rues d'Arfeuilles. Je connaissais le chemin pour rejoindre la nationale. Après je voulais faire du stop pour retourner chez moi, rejoindre ma mère et Nina avec qui, j'avais des comptes à régler et après... Après je verrais bien ! Mais ce sac de voyage pesait trop lourd sur mon épaule et me donnait l'impression d'être en cavale. En traversant un petit parc, j'ai aperçu un bosquet d'arbustes qui pouvait faire une bonne cachette, je me suis arrêté un instant, regardant autour de moi ; personne. Je l'ai posé aux pieds des arbustes tentant de l'enfouir sous quelques feuilles mortes, y ajoutant quelques morceaux de bois puis je suis repartie allégée me promettant intérieurement de le récupérer dés que possible. 

                                                                          

 

                                                               V

 

 

Après tout, je n'ai laissé que des vêtements, une trousse à maquillage et... Merde ! J'ai oublié de récupérer mon journal intime. Si quelqu'un le trouvait et lisait ce que j'ai écrit... Je n'aime pas cette idée.
À présent, je suis sur la Nationale 10 et je tends le pouce. J'irai chercher mon sac dans quelques jours, peut-être.

Une voiture s'arrête enfin ! Je cours pour arriver à sa hauteur. C'est un couple, un homme et une femme qui me sourient. La conductrice m'invite à monter à l'arrière, j'ai trente kilomètres à faire pour arriver chez moi et ils peuvent me déposer à l'entrée de la ville.
La femme me dit s'appeler Carole, elle parle et rit sans cesse. Thierry, son mari, est assis calme et silencieux du côté passager. De temps en temps, il tourne la tête vers moi et me sourit, les yeux cachés derrière ses lunettes de soleil. Carole me demande si j'ai l'habitude de faire de l'auto-stop et ajoute que c'est dangereux, que l'on peut faire de mauvaises rencontres parfois. "Heureusement, précise t'elle en riant, nous ne sommes pas des kidnappeurs d'enfants."
Je crois qu'ils ont deviné ma situation, car ils me proposent de m'emmener avec eux, ils vont à Paris ! Ai-je déjà vu la tour Eiffel ? Non, jamais. C'est vrai que je me sens bien en leur compagnie, Carole me parle comme à une amie, mais de là à les suivre à Paris... Après tout, qu'ai-je à perdre ? Ma famille est un champ de ruines et Nina m'a trahie, Nina...
— Tu as encore quelques minutes pour réfléchir à notre proposition, me dit Carole. 

Je laisse mon regard se perdre à travers la vitre, les paysages défilent à vive allure et je me demande si ailleurs sera moins pire qu'ici ?

                                                                                                        FIN

Tous droits réservés @Flore Potier 2013

 


07/10/2014
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Maman ne mange pas ?

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« Maman ne mange pas ? »  

Papa la regarde puis tourne sa tête vers moi pour me sourire. Regardant à nouveau ma grande sœur, il répond :

« Ta mère viendra à table dans quelques minutes. Manu !  Donne-moi donc le plat que je commence à servir les petites ».

 

Assise dans ma chaise haute, je regarde cette tablée familiale, où il ne manque que Valentine et Maman.

Moi, je m’appelle Elise et comme je ne parle pas encore, j’ai en moi, le Savoir des Ancêtres. Dans quelque temps je commencerai à oublier comme les autres, je le sais.

Je sais aussi que maman ne va pas bien depuis le départ de Valentine. Très souvent, elle me prend dans ses bras et pleure contre ma joue. Lorsqu’elle me confie ses peines dans le creux de l’oreille, je voudrais pouvoir lui répondre que tout ira bien…

Aujourd’hui, je ne suis qu’une petite fille d’un an et demi, mais j’ai suivi toute l’histoire depuis ma naissance. Déjà dans le ventre de maman, je savais que ma vie ne serait pas facile, mais j’ai choisi de rester. J’ai pris un peu de temps avant de sortir, quelques jours… Deux semaines.

Lorsque je suis arrivé dans ses bras, elle était la plus heureuse des femmes et moi son huitième enfant. Quatre mois plus tard, elle était enceinte du neuvième, Valentine.

Nos premiers mois furent heureux et bien que je ne pus boire le lait de ma mère, je restais souvent contre son sein pendant que son ventre s’arrondissait. Ma toute petite sœur était vive et bottait ma couche de ses fréquents coups de pied.

J’ignore comment cela est arrivé, un jour Maman est tombé. J’étais dans ses bras et pour me protéger, elle m’a serré très fort. C’est son ventre qui a frappé le sol en premier. J’ai eu très peur lorsque j’ai entendu Valentine gémir de douleur. C’est ce jour-là qu’elle a commencé à me parler.

Ma petite sœur, qui a le Savoir de nos Ancêtres, m’a dit qu’elle avait choisi de rester, mais que son chemin et celui de notre famille ne serait pas simple. Depuis le creux du ventre de ma mère, je l’ai écouté.

Quelques jours plus tard, elle naquit dans de grandes difficultés et son cerveau fut endommagé.

Durant les premiers mois, elle est restée auprès de nous et souvent Maman nous prenait contre elle, une sur chaque sein. Valentine me racontait des histoires et moi, je l’écoutais. Nous savions toutes deux que cela ne durerait pas. Elle était si petite mais savait tant de choses. Valentine m’expliqua qu’elle garderait le Savoir toute sa vie, mais qu’elle ne pourrait jamais parler. Elle allait devoir partir, s’éloigner de nous et si nous voulions la retrouver un jour, il nous faudrait nous battre contre notre mémoire mais surtout grâce à notre cœur.

Au moment  de son départ, je savais que maman en souffrirait alors j’ai dû l’aimer à la folie...

 

Je ne peux rien faire pour maman. Elle veut mourir et je le sais. Je vais attendre... Attendre que Valentine nous revienne.

 

« Ouvre la porte !! Dit mon père.

-Maman, ouvre la porte !! » Cri  Manu.

 

J’entends les coups dans la porte, j’entends les cris de mes pairs, je sais le sang sur les murs. Et moi, je suis là, j’ai le Savoir des Ancêtres et j’attends d’oublier.

 

                                                                                                         FIN

 

Tous droits réservés @Flore Potier 2010


07/10/2014
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