Il est une histoire...

Il est une histoire...

Fiction


Psychologie d'ascenseur

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Elle avança d’un pas décidé laissant dans son dos celui qu’elle venait de renier par tant de mots cruels. Elle ne prit surtout pas la peine de se retourner sur cet homme qui venait de lui avouer son infidélité. Lui, qu’elle avait aimé, n’avait plus de nom, n’existait déjà plus pour elle et tout en marchant jusqu’au coin de la rue, elle fit bien attention à ce que son corps se tienne droit et fière. Lorsqu’elle bifurqua à l’angle du bâtiment, elle s’écroula  devant la première porte cochère. Hélèna avait sauvé son honneur, mais son coeur était brisé. Elle laissa enfin le chagrin l’envahir. Recroquevillée sur elle-même et pleurant comme une petite fille, elle sentit à peine la silhouette de celui qui la frôla jusqu’à ce qu’il lui étreigne l’épaule. La jeune femme redressa la tête et vit un vieil homme au regard clair et compatissant :

“avez-vous besoin d’aide madame ? Lui dit-il.

- J’ai surtout besoin d’un bon psychologue ! Rétorqua Hélèna d’une voix nouée.

- Alors vous avez de la chance, car je connais dans cet immeuble quelqu’un qui, j’en suis sûr, pourra vous recevoir tout de suite. Souhaitez-vous m’accompagner ?”

La jeune femme scruta le regard du vieil homme. Sous d’épais sourcils blancs des prunelles bleues comme le ciel. Les rides qui parsemaient son visage semblaient s’être données rendez-vous aux coins de sa bouche et de ses yeux. Comme une enfant, elle saisit la main qu’il lui tendait et se leva. Il était de belle stature, la dépassant de plus d’une tête, ses cheveux tirés en arrière étaient d’un blanc immaculé et sur ses larges épaules une cape noire, nouée à la base de son cou par un lien de velours, lui donnait l’apparence d’un mage sorti d’un livre de contes. Sa main toujours dans la sienne, Hélèna sentait une chaleur apaisante se propager dans son corps.

“Je me nomme Arhel, et vous ? Dit-il.

- Hélèna, je suis Hélèna…

- En êtes-vous sûr ? Vous semblez incertaine, répondît Arhel.  Si vous le souhaitez, Hélèna, nous pouvons passer cette porte, mais vous devez me précéder. “

La jeune femme lâcha la main de l’homme et poussa la lourde porte sans hésitation. Elle se retrouva à l’entrée d’une galerie éclairée par de somptueuses appliques en fer forgé de chaque côté des murs. Le sol en damier noir et blanc s’étirait jusqu’au pied d’un ascenceur. Hélèna frissonna en apercevant cette splendide machine dont l’habitacle  brillait de lumière. Les parements de la cage de métal noire formaient des arabesques protégeant en son centre une cabine en bois laqué. Tout en s’approchant, la jeune femme pouvait distinguer le coeur miroitant à travers les portes vitrées. Cet ascenseur majestueux l’attirait irrésistiblement lui donnant le sentiment de s’avancer vers un être vivant. Aucun escalier ne semblait accompagner sa montée et en levant la tête elle constata que le plafond n’était percé d’aucune cavité. Arhel passa devant elle pour ouvrir la porte du garde-corps puis celle de la cabine qui plongea instantanément dans l’obscurité. “Il faut oser pénétrer les ténèbres pour mieux voir ! Lui dit-il, le sourire aux lèvres.

- J’espère seulement pouvoir en revenir sans blessure ou tout du moins en revenir…

- Puisez-en vous-même la force d’accorder votre confiance en ce qui est ! Ne résistez pas, répondit Arhel puis, d’un geste de la main, l’invita à entrer dans l’ascenseur qui ressemblait, à présent, à une boite en bois, posée verticalement sur le sol et ouverte sur un gouffre.

Hélèna soutint le regard de cet homme qu’elle ne connaissait pas. Comme ses yeux étaient clairs ! “ Vous pouvez toujours rebrousser chemin. “ ajouta-t-il. Elle posa un pied dans la cabine, prête au vertige du vide qui entraînerait le reste de son corps dans la chute, mais son pas rencontra la rassurante stabilité du sol. La jeune femme s’enfonça alors dans la pénombre de l’ascenseur et se retourna vivement vers Arhel. Toujours présent, il lui faisait face, les mains croisées devant lui. Il s’avança vers elle et, un bref instant, Hélèna eut l’espoir qu’il allait l’accompagner dans son voyage, mais ce ne fut que pour refermer les portes sur elle. La jeune femme tremblant de tous ses membres se raccrocha au regard du vieil homme à travers les vitres, puis repensa à ses derniers mots, avoir confiance et ne pas résister. Elle ferma alors les yeux pour être dans l’obscurité absolue et sentie l’ascenseur entamer sa descente rapide vers l’inconnu.

 

Lorsque la lumière traversa le voile léger de ses paupières fermées, Hélèna avait perdu la notion du temps. S’était-elle évanouit ? La jeune femme était toujours debout dans  l’ascenseur qui avait stoppé sa course. “ Il est temps de se confronter à la lumière ! “ pensa-t-elle. Lorsqu’elle ouvrit les yeux, son coeur se contracta violemment dans sa poitrine. Des murs au sol et jusqu’au plafond de cette étroite cabine, des miroirs lui renvoyaient son image démultipliée et pourtant toutes différentes. Un bébé en larme tendait les bras, une petite fille souriait, une jeune adolescente la regardait sombrement, tout cela accompagné d’une multitude de visages qui se faisaient face les uns aux autres. C'est alors qu'elle sentit une main lui étreindre l’épaule tendrement. A la pensée d’Arhel et de ses beaux yeux clairs, Hélène se retourna et fut saisit d’effroi à la vue de celle qui lui rendait son regard. Dans le miroir, elle eut peine à se reconnaitre tant son visage était laid et déformé. De larges plaques rouges et purulentes couvraient son visage, sa bouche enflée souriait ouvertement sur un conglomérat de dents pourries. Ce reflet lui souleva le coeur. “ Puisez en vous-même la force d’accorder votre confiance en ce qui est ! “ se souvint Hélèna. Elle ouvrit sa main vers celle qui la dégoutait et de l'autre caressa doucement les contours de son propre visage. Son reflet lui renvoyait sa peur la plus profonde et à travers la dureté de son regard, elle reconnut la beauté du monstre qu’elle avait en elle. C'est alors que l’ascenseur reprit doucement sa progression vers le haut.

 

 

 

                                                                                                         Fin

 

Tous droits réservés @Flore Potier 2014


08/10/2014
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Poussières au vent

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Photographie : Poussière d'étoiles de Ludovic Florent

 

 

Elle était assise depuis plus de deux heures devant sa page blanche se disant que la journée était mal engagée, lorsqu’on sonna à la porte. Habituellement, lorsqu’elle était prise dans sa frénésie d’écriture, elle ne répondait pas, mais ce matin-là devant la page vierge et le profond ennui qu’elle ressentait, la sonnerie la fit sursauter de joie comme un élève qui entend la cloche annoncer la récréation. Elle se leva d’un bond et se dirigea vers la porte d’entrée. Lorsqu’elle saisit la poignée, un spasme contracta son estomac. Elle hésita à ouvrir mais, le geste était déjà engagé. Face à elle se tenait une vieille femme tout habillée de noir avec un large chapeau de paille sur la tête. Petite et maigre, elle devait avoir plus de cent ans étant donner la quantité incroyable de rides qui ravinaient son visage. Au milieu de ce champ de ruines, deux petits yeux noirs et brillants plantés dans les siens. Sans hésiter, la vieille femme s’avança en boitant et poussa volontairement du coude l’écrivaine médusée — Qu’est-ce que tu fous au beau milieu de mon passage Saucisse mal cuite ! A cause de toi je suis obligée de revenir pour voir la merde dans laquelle tu nous as foutu ! T’as travaillé au moins ? T’as écrit quelque chose ces derniers jours ?

Dans son sillage se répandait une odeur effroyable de pot pourri. La jeune femme regardait la vieille s’avancer dans son appartement sans savoir comment réagir. Celle-ci continuait de rugir — Espèce de sale petite emmerdeuse, quand vas-tu réussir à nous pondre quelque chose de bien !?
Mais d’où sortait donc cette mendiante ? Pensa l’écrivaine. La vieille se retourna 
— Ne me regarde pas dans le dos avec de mauvaises pensées, Bougresse ! Si je suis là, c’est par ta faute, tu n’écris rien que de la MERDE ! Et il faut bien que quelqu’un te le dise, n’est ce pas ?
— Mais qui êtes-vous ?
— TOI ! Dans peu de temps, sale gamine ! Car le temps est un chien de l’enfer, sais-tu ? Il passe plus vite que tu ne crois et un jour prochain tu seras une vieille pourrissant de l’intérieur. C’est ce que tu penses de moi, n’est-ce pas ? Que je pus ! Non ma chère, je ne suis pas une mendiante, je viens seulement de me retourner dans ma tombe lorsque j’ai lu ton dernier bouquin. C’est quoi le titre déjà ? “On te retrouvera”... Ha oui ! Et bien c’est moi que tu vas retrouver aujourd’hui et je vais pas te lâcher ! “
La vieille se laissa choir sur l’un des fauteuils du salon et dans un rayon de soleil matinal qui traversait la baie vitrée, un nuage de poussière explosa tout autour d’elle, ce qui laissa l’écrivaine contemplative et terrifiée — Bon ! Maintenant sert moi donc un verre d’eau, car la mort donne soif ! Aller ! Restes pas plantée là comme une figue au soleil et donnes moi à boire Crétine ! C’est quoi ton prénom déjà ? Ah oui ! Je m’en souviens, Anaïs ! Ta mère était venu m’annoncer ta naissance pendant que je passais l’arme à gauche. 
— Vous connaissez ma mère ?
— J’ai soif ! Cria la vieille, qui en quelques minutes avait investi son appartement,
sa vie et sa pauvre tête prête à exploser. Anaïs, en cet instant n’était plus une écrivaine à succès mais une petite fille terrifiée. Elle se dirigea promptement vers la cuisine, saisie un verre d’une main tremblante et durant un court instant se demanda si elle n’avait pas quelques poisons, peut être un insecticide ou de la mort-aux-rats
à mettre dans l’eau fraîche afin de se débarrasser de ce monstre... N’avait-elle pas dit qu’elle était déjà morte ? Elle devait être folle...
— Oui pauvre andouille ! Je suis déjà morte, alors laisse tomber le poison ! Cria la vieille femme depuis le salon.
Les jambes d’Anaïs semblèrent se dérober sous le poids de son corps et un filet de sueur glissa le long de sa colonne vertébrale. Elle n’osa plus formuler la moindre pensée. La situation était hallucinante ! Sa main tenant le verre tremblait si fort qu’une partie de l’eau se déversa sur ses pieds. Non ! Se dit-elle. Elle ne devait pas se laisser aller à la panique. La situation était certes hallucinante mais, crise de folie ou basculement dans la quatrième dimension il lui fallait gérer les choses jusqu’au dénouement.
Dans le fauteuil, Sonia écoutait, le sourire sur ses lèvres desséchées, les bribes de pensées que la jeune femme ne pouvait s’empêcher d’avoir. L’idée d’être empoisonnée l’amusait beaucoup. Il est vrai qu’elle n’y était pas allée de main morte en surgissant ainsi dans son appartement, mais il était nécessaire de frapper un grand coup pour lui remettre les idées en place et malgré tout le trouble qu’elle venait de lui causer, elle était persuadée de bien faire pour cette gamine qui, à son avis, avait pris le chemin de la médiocrité.
Dans la cuisine, Anaïs décida qu’il était inutile d’empoisonner un cadavre. Prenant une grande inspiration, elle retourna au salon, son verre d’eau dans la main et une bouteille de whisky dans l’autre, machinalement saisit en passant près du plan de travail. Toujours assise dans le fauteuil, la vieille Sonia fixait de ses petits yeux noirs la jeune femme qui avançait vers elle. En apercevant la bouteille d’alcool elle releva la tête et partit dans un rire tonitruant, sa bouche grande ouverte laissant apercevoir une dentition des plus noires. Anaïs qui ne comprenait pas les raisons de cette dégoutante éructation, s’arrêta net, elle n’était pas seulement morte, elle était vraiment dingue, pensa-t-elle. Sonia cessa aussitôt de rire et planta son regard dans le sien — C’est avec du whisky que tu comptes m’empoisonner chérie ? Moi ! l’un des plus grands auteurs du vingtième siècle mais aussi la plus grande alcoolique après Churchill ?
— Mais je... Mais qui êtes-vous ?
— Silence effrontée ! Respecte le Verbe lorsqu’il sort de la bouche d’une morte ! Et donne-moi donc l’eau que je puisses humecter mes lèvres sèches. La vieille Sonia tendit la main promptement et Anaïs s’avança de deux pas, suffisamment pour qu’en étirant son bras au maximum, l’autre puisse prendre le verre. En le saisissant, la vieille sursauta et cria “Bhou !”, la jeune femme recula précipitamment laissant échapper la bouteille de whisky, qui tomba sur la moquette sans se fracasser. La vieille repartie alors dans un grand rire joyeux pendant qu’Anaïs, dont le coeur battait à tout rompre, saisit la bouteille échouée à ses pieds, dévissa le bouchon et avala deux grandes gorgées avant de se laisser choir sur le sol — Bois pas trop la gamine sinon tu risques de délirer et croire qu’un revenant s’est introduit dans ton appartement ! Lui dit la vieille amusée, puis elle trempa deux doigts dans l’eau et s’humecta les lèvres.
— Et alors ! Vous n’étiez pas morte avant que je commence à boire vieille carne déglinguée ? J’ignore pourquoi vous débarquez chez moi mais puisque vous ne semblez pas décidé à partir tout de suite et que j’insiste ! Je suis chez moi, je bois comme je veux ! D’autant plus que supporter la présence d’un cadavre nécessite de boire un coup, rétorqua Anaïs en avalant deux gorgées de plus avant de reprendre — Vous voulez donc me parler de mes romans ? Soit ! J’accepte la critique Madame la Morte !
— Ah ! J’apprécie ta répartie volontaire bien qu’un tantinet effrontée mon chou. Sous les couches de l’oignon se cache peut-être une vraie femme... La poitrine n’est pas bien généreuse mais la gorge est déployée et le port de tête fière. Ne manque plus que le courage des mots puisque c’est cela qui te fait défaut dans tes livres ! 
Anaïs ne répondit pas et soutint le regard accusateur de la vieille femme —Bien ! Parlons donc avec courage et sincérité de ton oeuvre car si je suis revenue d’entre les morts ce n’est pas pour parler tricot... Tu vois à quoi je fais allusion ? La vieille termina sa question en lui faisant un clin d’oeil que la jeune femme, piquée au vif, considéra comme grotesque.
— À mon dernier roman j’imagine, celui pour lequel je suis honorée de votre macabre visite madame... Madame la grande écrivaine du vingtième siècle ? Mais alors vous deviez avoir un nom de votre vivant et avec un peu de chance je vous ai lu ? Qui êtes-vous ?
— Pas besoin que tu saches qui je suis, du moins pas encore. Je suis venue pour te parler de ton oeuvre que je trouve minable à la limite de vomir si j’en étais encore capable ! C’est quoi ces histoires à deux balles que tu écris ? Des romans de gare ? Moi je dirais des petites histoires d’arrêts d’autobus ! Des histoires d’amours qui se ressemblent toutes, comme l’écharpe de dix mètres que tricote ta pauvre héroïne en attendant que son bel amoureux revienne, alors là ! C’est le pompon ! Ce sont des lieux tellement communs qu’on se retrouve tous à pisser aux toilettes publics ! T’as pas mieux à proposer Anaïs Laforêt ? Tu veux écrire des romans de chiottes ?!

La jeune écrivaine sentit son sang lui monter au visage. Des critiques concernant son style plutôt simpliste, ses histoires considérées comme des romans d’amours populaires, sans plus ni moins, romans de gare, de plage oui pourquoi pas, elle acceptait la critique mais romans de chiottes...
— Mais qui êtes-vous donc, madame pour venir ainsi chez moi et...
— Silence ! Tu redeviens l’oignon et moi, je perds mon temps. Un temps qui est précieux lorsqu’on est embaumée. Allons Anaïs ! Libère-toi. Tu es capable de faire beaucoup mieux, dit Sonia.
— Que pouvez-vous savoir de moi ?
— Ce que je vois de l’au-delà pardi ! Ecoute-moi bien Ignorante. À l’heure de notre mort nous avons tous le choix : veiller ou fusionner. Rester encore un peu pour veiller sur nos proches et être là pour les accueillir lorsque vient leur tour de mourir ou fusionner avec le cosmos tout de suite, enfin, je crois que c’est un truc comme ça... Personne n’est jamais revenu pour en témoigner hein ? Toujours est-il que ce qu’on appelle les anges de notre vivant, ce sont en fait des parents, grands-parents, arrières... Bref ! Des ascendants, conjoints ou amis qui ont décidé de rester pour veiller et accueillir leurs proches. Nous sommes des esprits, des anges ou une forme d’énergie, appelle cela comme tu veux. Nous vous conseillons en murmurant dans vos songes, ou dans le souffle du vent... Enfin ! On fait comme on peut, pour être capté par vous autres vivants, mais ça ne marche pas toujours ! Certains doivent avoir toutes les écoutilles fermées ou bien des couches et des couches de pelure d’oignons comme qui tu sais ! Hey Anaïs ! Ferme ta bouche, tu vas gober les mouches ! Sonia repartit dans un grand éclat de rire.
— En tout cas, répondit la jeune femme qui était restée bouche bée devant les explications de Sonia, vous n’êtes pas morte hier, car votre humour et vos expressions sont passablement démodés. Et ne parlons pas de votre look ! Si ce que vous me dites est vrai, je serais donc l’une de ceux que vous “conseillez” ? Et pourquoi serions-nous proches ?
Sonia ferma les yeux. La lumière du jour se faisait plus éblouissante depuis quelques instant et son chapeau ne suffisait plus à la protéger, elle sentait que son corps qu’elle avait réinvesti pour l’occasion ne résisterait plus très longtemps à l’acidité de l’air. Si Anaïs ne devenait conciliante rapidement, le corps de Sonia finirait en petit tas de poussières sur la moquette du salon. La première partie était dite restait la deuxième plus délicate. La vieille femme, les yeux toujours fermés, soupira profondément.
— Alors Madame la Grande Écrivaine Alcoolique du Vingtième Siècle ! Vous êtes endormie ? Une petite gorgée de whisky pour réveiller les morts ? Ainsi vous goûterez à la nostalgie d’une époque révolue pour vous ! Dit Anaïs en riant, mais elle s’arrêta brusquement — Attendez ! Une grande écrivaine du siècle dernier, alcoolique et ascendante... 
Sonia ouvrit les yeux. Anaïs était assise sur le sol, les jambes croisées, la bouteille de whisky entre ses mains tremblantes, elle venait de comprendre à qui elle avait à faire.
— Vous êtes...
— Sonia Duvauchelle, ton arrière-grand-mère. Heureuse de te rencontrer en chair et en os bien que pour ma part, je suis plus en os qu’en chair à présent, enfin ! Si je n’avais pas demandé à être embaumé de mon vivant ce pourrait être pire, j’aurais pu débarquer chez toi sous la forme d’un squelette et là j’imagine ta tête, ha ! Alors ma petite Anaïs, tu ne viens pas embrasser ton arrière-grand-mère ? Dit-elle en ouvrant ses bras — Ah oui j’oubliais que je pus...
— Stop ! Cessez de soliloquer comme une vieille folle ! Cria la jeune femme.
Anaïs se leva brusquement et posa la bouteille sur la table du salon. Croisant les bras sur sa poitrine, elle se mit à marcher de long en large devant Sonia toujours assise sur le large fauteuil. Cette dernière se tenait à présent silencieuse, le verre d’eau posé sur les genoux entre ses mains décharnées. Anaïs se figea face à elle. — J’aurais dû te reconnaitre rien qu’en voyant ton stupide chapeau de paille. Sur les photos que maman a gardé de toi, tu le portais toujours, sur toutes les photos d’archives de presses aussi. C’était quoi ? Une coquetterie ? Et cette robe noire dans laquelle tu flottes aujourd’hui, c’est pareil ! Tu voulais te donner un genre ? Ah ces écrivains intellos tous des snobs en fait ! Hey mamie, tu t’endors à nouveau ? Ouvre les yeux et regarde-moi !
— Je veux bien, mais la lumière est trop forte alors avant de continuer à m’engueuler, voudrais-tu bien tirer les rideaux ou fermer les volets ? Sinon dans peu de temps, tu pourras me ramasser à la pelle et ce n’est pas une métaphore.
Anaïs observa la vieille et s’aperçut qu’elle semblait plus mal en point qu’à son arrivée. Sous le large chapeau, son visage aux yeux clos paraissait plus émacié et son teint virait au gris. Elle se dirigea promptement vers la large baie vitrée et enclencha le bouton pour baisser le store électrique. Lorsque la pièce fut plongée dans la pénombre, la jeune femme se dirigea vers le chandelier posé sur la table basse et alluma les bougies. Lorsqu’elle se retourna vers Sonia son coeur bondit dans sa poitrine. La vieille femme venait d’ôter son chapeau et sur son crâne en grande partie dégarni quelques touffes de cheveux blancs se dressaient anarchiquement lui donnant l’apparence d’un horrible clown. Elle fixait Anaïs de ses yeux noirs où se reflétaient, à présent, de petites flammes et sur son visage la lumière vacillante révéla la morbide vérité de son état. Cette femme n’était plus qu’une horrible marionnette. Un esprit en sursit dans un corps en décomposition. Anaïs recula et s’assit sur le fauteuil face à la vieille femme.
— Pourquoi Sonia ? Demanda-t-elle, pourquoi es-tu revenue d’entre les morts ?
— Je te l’ai déjà dit gamine, pour te mettre le nez dans la merde de ce que tu écris. Je n’ai plus beaucoup de temps à passer avec toi sur cette terre, je fais, comme qui dirait, un passage éclair. Depuis que tu es née, ou plutôt lorsque moi, je suis morte, mon esprit est resté pour veiller sur ta mère et toi. J’ai bien essayé de t’inspirer, lorsque tu dormais la nuit, je t’ai parfois soufflé des conseils sur ton désir d’écrire. Ne te dis-tu pas que tu devrais lire plus souvent et particulièrement des oeuvres classiques ?
— Oui, c’est vrai. Je regrette parfois de n’avoir lu plus de littératures classiques, mais c’est à cause de toi, je ne voulais surtout pas te ressembler ! Et puis saches que ma maison d’édition est pleinement satisfaite de ce que j’écris et me demande de leur fournir au moins deux romans par an afin de fidéliser mes lecteurs. Tu insinues que c’est toi qui m’as soufflé le choix d’être écrivaine ?
— Oh non ma pauvre ! Je t’aurais alors conseillé de ne jamais faire un tel choix ! Mais notre rôle n’est pas de décider du chemin que prennent les vivants, plutôt de les accompagner au mieux. Lorsque tu as voulu en faire ton métier et que tu as réussi à publier ton premier roman, je n’ai cessé de te murmurer mes conseils, lire beaucoup, réfléchir sur le sens que tu veux donner à ta vie et surtout ne pas te laisser aller à la facilité, mais ton esprit est resté hermétique ! Tu as continué à écrire ces histoires d’amour qui puent le mensonge et l’absurdité. Sous prétexte que tes romans à l’eau de rose se vendaient bien, tu n’as pas cherché à faire évoluer ton style. Tes romans sont bons à se torcher le cul !
— Eh vielle carne desséchée ! Cria Anaïs en se redressant, tu es morte et je suis en vie alors laisse moi le temps de créer mon histoire dans ton ombre ! Tu fus peut-être un auteur de talent, mais je ne te pardonne pas en ce qui concerne ta vie de famille !— Nous ne parlons pas de cela gamine, nous parlons de ton oeuvre littéraire et donne un peu d’originalité à tes insultes !
— Et alors ? Crois-tu que mon oeuvre soit dénuée de tes actes ? Crois-tu que ton manque de présence envers ma grand-mère n’a pas eu d’impact sur ma mère et sur moi ? Tu as fait de la vie de ta propre fille un enfer ! Tu buvais comme un trou et tu t’enfermais des jours durant dans ton bureau pour cuver et écrire. Tu l’as rendu plus folle que toi ! Tu fus soi-disant une grande écrivaine, mais moi je n’ai jamais voulu te lire, car tu es responsable de la mort de ta fille Sarah ! “
Un silence d’outre-tombe se fit entre les deux femmes. Anaïs s’assit, à nouveau, sur le fauteuil et posa son visage dans ses mains. Sa tête tournait et son coeur battait fort. Comment aurait-elle pue imaginer ce qui était en train de se passer en ce moment même ? Pourtant, elle était bien là, face au corps momifié de son arrière-grand-mère, éclairées aux chandelles en plein milieu d’une journée ensoleillée, de quoi écrire un roman ! Anaïs aurait bien téléphoné à sa mère pour lui demander de l’aide, après tout, c’était elle qui s’était occupée de la vieille folle jusqu’à son hospitalisation.
— Ta mère est bien trop cartésienne pour croire que je suis revenue de l’au-delà, répondit Sonia. Je l’aime bien ta mère, elle s’est occupée de moi après le suicide de Sarah. Toi, tu n’étais même pas née alors comment peux-tu me juger sale effrontée ? C’est pour elle que je suis restée ! J’ai senti qu’elle pouvait avoir besoin de moi. Mais ta mère est solide et avec Sarah, nous nous sommes dit que c’était surtout toi qu’il fallait accompagner... D’ailleurs, ta grand-mère t’embrasse ! Enfin, de façon spirituelle pas physiquement, bien sûr.
Anaïs découvrit son visage de ses mains et regarda Sonia — Sarah est avec toi ? Pourquoi n’est-elle pas venue ? Demanda la jeune femme.
— Parce que c’est avec moi que tu as un problème à régler. Sarah est depuis longtemps pardonnée pour ces actes. Ne suis-je pas la responsable de sa mort ? Ce n’est pas complètement faux, j’avoue ne pas lui avoir facilité les choses durant son enfance... Si son père n’avait pas mis les voiles lorsque j’étais enceinte, j’aurais pu lui confier ! Mais ce qui est fait est fait, Aléa jacta est ! Sarah a fait son choix et ce n’est pas moi qui lui ai mis les somnifères dans la bouche ! Et puis tu dois savoir que son corps a été incinéré, réduit en cendres ! Difficile de venir te rendre visite...
Anaïs chercha dans l’expression de Sonia la moindre étincelle de sarcasme, mais dans le regard de la vieille seules les flammes des bougies semblaient s’agiter joyeusement — Elle a bien essayé de te souffler des conseils, continua Sonia, mais après la parution de ton dernier bouquin, nous sommes tombées d’accord sur le fait qu’il était temps d’agir. Tu vois, je ne suis pas la seule à trouver que tes romans sont nuls !
Tout à-coup la vieille femme fut prise d’une violente quinte de toux. Repliées sur elle-même, son corps décharné laissait échapper de petites explosions de poussières à chaque secousse. Lorsque Sonia se redressa, Anaïs fut saisit d’effroi. Elle attrapa la bouteille de whisky posée sur la table, dévissa le bouchon et en avala une gorgée.
— Bien ! Où en étions-nous ? Dit Sonia. Le visage de la vieille femme semblait avoir reçu une rafale de plombs. De petits trous béants creusaient à présent ses deux joues, des trous noirs autours desquels s’était formé un fin amas de poussière comme de nombreux petits volcans éteints. Sonia trempa deux doigts dans le verre d’eau et humecta ses lèvres puis voyant le regard pétrifié de la jeune femme toucha délicatement ses joues trouées et ajouta — Le temps passe Anaïs... Il serait temps d’en arriver au dénouement.
La jeune femme sentant ses émotions s’enrober de coton et ses pensées se troubler prit le chapeau que la vieille Sonia avait posé sur la table et le tendit vers celle-ci. 
— Peux-tu le remettre ? Sonia sourit et lui prenant le chapeau des mains le déposa sur sa tête, cachant dans l’ombre les trois-quarts de son visage. —Les minutes sont à présent comptées, je ne tiendrais pas très longtemps dans ce corps qui s’effrite, dit Sonia. Ecoute-moi ! De mon vivant, j’ai fait de terribles erreurs et je n’en suis pas fière. J’ai voué ma vie à mon oeuvre au détriment de ceux que j’aimais. J’ai abimé Sarah dans sa jeunesse, mais c’est elle qui a eu le choix de vivre ou de mourir. Nous sommes réunies dans cet Au-Delà et c’est pour toi que nous sommes inquiètes, à présent ! Ton savoir écrire est une arme contre l’absurdité de ce monde, alors ne te soumets pas à lui ! C’est cela que je suis venu te dire ! Le verre que tenait Sonia tomba sur la moquette. Ses deux mains venaient de se disloquer et ne restait sur ses genoux qu’un tas de poussières. — Une dernière chose, dit Sonia, j’ai bien peur de ne pas pouvoir rejoindre ma crypte, alors surtout, ne t’embarrasse pas avec ce qui restera de mon corps, jette donc les poussières au vent ! Je n’ai pas l’intention de revenir ici-bas, mais crois-moi, je ne vais pas te lâcher Anaïs ! Je reviendrai te botter le cul pendant ton sommeil !
Pendant que la vieille parlait, des petits bouts de son corps se désagrégeaient. Anaïs voyait son aïeule partir en morceaux puis en poussière. Son coeur sembla exploser dans sa poitrine ! Elle s’avança pour prendre son arrière-grand-mère dans ses bras, mais ne rencontra que le vide. Le corps de Sonia venait de s’effondrer sur lui-même. Ne restait qu’un chapeau sur de la poussière grise. Anaïs resta un instant à contempler le vieux chapeau de paille puis se leva et se dirigea, légèrement titubante, vers la cuisine. Lorsqu’elle revint dans le salon, elle tenait une pelle, une balayette et un seau. Elle se pencha vers le fauteuil, prit le chapeau et le mit sur sa tête. Elle commença à balayer délicatement les poussières dans la pelle puis les versa dans le seau. Lorsqu’elle eut finit avec le fauteuil, elle fit de même sur le tapis, puis se dirigea vers la bais vitrée. Tout en déclenchant l’ouverture du store électrique, Anaïs se demanda comment un corps ayant eu une telle présence au sein de son appartement pouvait être aussi léger à l’état de poussière et ne remplir que le tiers d’un seau en plastique. Une lumière blafarde envahit la pièce et la fit cligner des yeux. Elle ouvrit la fenêtre et s’avança sur la terrasse. Le temps virait à l’orage, de gros nuage s’élevaient dans le ciel comme des champignons noirâtres. Un éclair zébra l’horizon et dans le grondement du tonnerre elle crut entendre le rire de Sonia. Effrayée, elle saisit le seau à bout de bras, s’appuya contre la rembarde et le renversa. La poussière s’éleva en tourbillonnant puis se dispersa sous les assauts du vent chaud. A cet instant un second éclair plus puissant que le précèdent illumina le ciel et claqua au-dessus de la jeune femme comme un coup de fouet. Elle se recroquevilla sur elle-même, ses mains sur les oreilles — Tu n’as rien à craindre gamine ! Lève-toi ! sembla vociférer la voix de Sonia dans le tonnerre. Anaïs se redressa tremblante. Une nouvelle bourrasque de vent souleva violemment le chapeau pour l’emporter au loin — Tu n’as pas besoin de ça pour m’entendre ! Rugit le vent. La jeune femme regarda le vieux chapeau de paille s’envoler dans les airs comme porté par des mains invisibles. — On se retrouvera Sonia ? Cria t’elle en scrutant le ciel. Pour toute réponse, Anaïs reçu une grosse goutte d’eau sur le front puis une deuxième et finalement une pluie diluvienne l’obligea à rentrer dans l’appartement. Sur le tapis du salon trônait encore un vieux morceau de tissu noir et poussiéreux. La jeune femme s’avança et prit ce qui restait de la robe de son aïeule, puis se pencha vers le chandelier et souffla les trois bougies à demi consumées. Le tissu entre ses mains était doux comme la soie, c’en était certainement. Elle hésita un instant, ferma les yeux sur ses larmes qui perlaient et se dirigea vers la cuisine. Anaïs ouvrit la poubelle et jeta le tissu. — Je n’ai pas besoin de ça pour me souvenir de toi, murmura-t-elle.
Dehors, l’orage et la pluie se déchainaient follement, mais Anaïs se sentait trop épuisée pour aller profiter du spectacle. Elle se rendit dans sa chambre et pendant que les éclairs zébraient le ciel et dessinaient de brefs motifs bleuâtres sur les murs ses yeux fixaient l’étagère où étaient alignés, par ordre de parution, les trente quatre livres de Sonia Duvauchelle, l’oeuvre de sa vie. Anaïs prit le premier sur sa gauche et s’allongea sur le lit. — Il est temps de faire connaissance, dit-elle en allumant la lumière de chevet.

Ce matin-là, la jeune écrivaine était assise devant son écran d’ordinateur lorsqu’on sonna à la porte. Prise dans sa frénésie d’écriture son petit doigt lui dit qu’elle avait plus important à faire. — T’as bien raison Crétine ! Souffla Sonia.

 

 

 

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08/10/2014
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Les noms d'l'Amour !

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                                                 Peinture : Jeune fille de Marie Laurencin

 

 

 

 

L’était une fois un p’tit bout d’zan
L’était toujours bien lumineuse
Son grand sourire fendait en deux
Sa p’tite poire doucereuse
Les vieils gens l’app’laient La Fleur
Moi dans l’silence de mon coeur
J’pensais à elle et j’la nommais 
A chaque matin d’un nouveau nom
Comme une caresse qu’mes grosses paluches
Oseraient jamais lui faire.
Mon Printemps immortel, Ma Folie, Ma toute Belle,
Reine des prés, Rose du jour, Aurore, Blanche ou Lune
A chaque matin j’déposais sur ma Belle Endormie
A ses pieds, silencieux, le plus beau nom du monde !
J’la couvrais d’mon amour et chaque jour plus encore
C’tait un moyen d’la protéger de tous ces rustres qui la couraient
Ces vauriens qui n’attendaient rien qu’à m’la cueillir
Ma Fleur, Mon Lys, Mon Brin d’Herbe Tendre.
Puis d’la laisser là se faner !

L’était une fois un pauv gars comme moi
Trop grand, trop gros et incapable d’aligner deux mots
Les vieils gens m’nommaient l’idiot
J’m’en fout j’aime pas les gens !
A chaque matin j’pouvais voir Mon Soleil illuminer not’maison
A chaque jour j’la couvrais d’un nouveau nom
Ma Crête enneigée, Mon Oiseau Bleu, Ma Prune Sucrée,
Mon chêne, Ma Prairie, Mon Trèfle à Quatre feuilles.
J’voulais la protéger des coquins et d’leurs miséreuses
De toutes ces femmes jalouses et envieuses !

L’était une fois un Salopard, un d’ces richards, plein d’oseilles !
C’jour là j’ai pas su la couvrir d’un nom qui la protège
Ce Salaud l’a cueillit sans respect, sans douceur
Puis la laissé là, fanée dans not’grange, dans le foin…
Pour une fois dans ma vie, j’lai prise contre mon coeur
Mon Verger, Ma Lumière, Mon Or, Ma Petite Soeur.
Son coeur battait contre le mien et j’ai pleuré avec Elle
J’lai prise dans mes bras, Ma Plume Douce, et j’lai couché
Dans sa chambre, dans son lit, recroquevillée comme un bébé.
J’lai tendrement caressé de mes paluches, j’ai senti sa main glacée
Se poser sur les miennes et sa voix dans un souffle me disant 
“Je t’aime”

L’était une fois un Idiot en colère, qui descend au village d’un pas déterminé !
Les vieils gens le regardent passer à travers leurs fenêtres closes
J’les vois ces pauv' villageois lâches et plus idiots que moi
Ils s’ demandent si je suis plus fou qu’ils ne l’croient…
J’avance à grande enjambée vers la maison du maître et ma colère gronde
Je pense à Mon Ange, Ma Fée, Mon P’tit Clown qui me faisait le cirque, Ma Beauté Sans Pareille, Mon Âme Soeur, Ma Petite Soeur…
Lorsque j’ pousse la porte de cette grande et belle maison, un jeune homme se dresse face à moi !
J’ai pas réfléchi. J’ai levé mon bras qui tenait le couteau. j’suis peut-être plus idiot que j’le pensais… J’l’ai tué direct d’un coup au coeur.

L’était une fois, un homme au fond de sa cellule qui attend la mort. C’est moi ! J’me nomme Germain et j’vais mourir demain. Mais si j’écris c’te lettre c’est surtout pour ma soeur Germaine… nos parents nous ont donné de mauvais noms alors depuis j’caresse ma soeur et j’la protège avec les plus beaux noms du monde. J’suis l’seul à savoir et j’suis l’seul à la nommer. J’continuerai à la protéger en la nommant chaque jours et même après ma mort ! 
Mon Ile de Beauté, Mon Ciel Etoilé, Ma Chérie, Ma Luciole, Mon Cygne Blanc, Ma Chouette, Mon Incertaine, Mon Fil des Jours, Ma Présence, Mon Âme, Ma Caresse… Mon Amour. 

                                                                                            

 

                                                                                                     Fin

 

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08/10/2014
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Emprise

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Droit d'auteur: <a href='http://fr.123rf.com/profile_kmiragaya'>kmiragaya / 123RF Banque d'images</a>

 

 

 

 

 

Comme chaque soir, il rentre du travail, un sourire fatigué sur les lèvres. Je sens qu'il est heureux de se retrouver enfin chez lui. Nous dînons en silence. Parfois, je sens son regard posé sur moi, cela me gêne toujours un peu. Je sais à quoi il pense en cet instant et depuis toutes ces années, je n'arrive pas à m'y habituer. Il me dit que c'est normal de le faire quand on s'aime, que c'est mon devoir de femme, mais je me sens si jeune. Après le dîner, je monte dans la chambre. Je sais qu'il va me suivre, je sais comment cela se passera, je sais son sourire. Je sens ce silence pesant entre lui et moi.
Il entre quelques minutes après et refermant la porte, je le vois tourner la clé dans la serrure. Je me demande pourquoi il fait cela à chaque fois, comme s'il avait peur de quelque chose. Je suis debout devant mon lit, mes jambes sont tremblantes. Il s'approche et d'une main chaude et moite caresse ma joue. Son regard est mal à l'aise, il sourit comme pour se rassurer lui-même. Je sais qu'il n'aime pas quand je le regarde dans les yeux, alors je les baisse. Je vois le renflement de son pantalon. Sa main encore sur ma joue tremble et se déplace caressant mes cheveux, descend sur mon cou. Je l'entends murmurer : "ma chérie, ma petite rose. Comme ta peau est douce et fraîche. Je suis fatigué, mais toi, tu es là, si gentille et si douce. ", sa main continue de me caresser, touchant ma poitrine puis mon ventre, "tu dois être gentille si tu m'aimes vraiment, c'est normal de faire cela quand on s'aime". 
Il prend ma main dans la sienne et la pose sur la bosse de son pantalon, sur son sexe dur. À présent, il ne parle plus et respire fort. Je voudrais qu'il fasse vite, je n'aime pas ça.
Il me saisit alors par les épaules et me fait reculer vers le lit. Je m'allonge, mes yeux à présent fixent le plafond. Je sens ses caresses plus fébriles, plus maladroites. Il soulève mon tee-shirt au dessus de mes seins puis ses mains se glissent entres mes cuisses serrées les écartes soulevant ma jupe. Il retire ma culotte, ses doigts fouillent mon sexe. Je l'entends grogner comme un animal, j'ai peur, mais je ne bouge pas. Il me fait mal, mais je ne dis rien. 
Je sens qu'il ouvre son pantalon et pose son sexe chaud et dure contre le mien. Son visage est au-dessus de moi, je tourne la tête sur le côté, mon regard va se perdre dans les fleurs du papier peint. La bête, si dure contre mon sexe me fouille, me pénètre fort. Sur l'instant, je ressens une vive douleur puis plus rien, mon corps est comme anesthésié. Je le sens allé et venir sur moi de plus en plus vite, je l'entends grogner et gémir. Je ne le regarde pas, mais je sais que ses yeux sont fermés. Je voudrais qu'il termine vite. Je sens des gouttes de sa sueur tomber dans mon cou. Ses mouvements deviennent plus secs et durant un instant, il se cambre, renversant sa tête en arrière. J'entends son râle de plaisir et sa voix qui murmure gravement mon prénom, Rose. Lorsqu'il se retire enfin, son sperme chaud coule sur mes cuisses. Pendant un moment, il reste là, debout devant moi puis je l'entends dire doucement : "oh Rose, tu me rends fou !". 
Je me sens alors sale et honteuse, je sais qu'il a raison, que tout cela est ma faute, je voudrais mourir ! Pendant qu'il remonte son pantalon, je me lève et remets vite ma culotte. Je sens le sperme qui colle sur mes jambes et mon sexe me brûle. Lorsque je lève les yeux vers lui, il me regarde avec, colère et me dit : "tu devrais aller te laver !" Puis se dirigeant vers la porte, tourne la clé et sort. 
Je reste là debout. Je me déteste de savoir si peu le satisfaire, de le décevoir continuellement. Ma gorge se serre, j'ai envie de pleurer, mais je sais qu'il n'aimerait pas cela alors je ravale mes larmes et me dirige vers la salle de bains en murmurant : "je serais plus gentille la prochaine fois, je te le promets papa."

                                                                                                        Fin

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08/10/2014
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L'enfant aux secrets

Modigliani._Petit_garçon_roux.JPG

                                                          Peinture : Petit garçon roux de Modigliani

 

 

 

 

Comme un pont jeté entre deux mondes, le vôtre et le mien, je viens vous conter l'histoire d'un enfant nommé Joshua.
Ce petit être de huit ans avait des cheveux roux et un nez retroussé dont l'arête était piquetée de taches de rousseur. Un petit poil-de-carotte de notre époque dont la vie qui venait à peine de commencer était déjà bien difficile.    
Joshua était assis sur un banc dans la cour de son école. Autour de lui les enfants, couraient, criaient, jouaient aux billes, se battaient pour un bout de craie ou d'autres encore se racontaient leurs souvenirs de vacances. Joshua, lui, ne disait rien, ne bougeait pas. Personne ne faisait vraiment attention à lui, car tous étaient habitués à sa présence silencieuse. 

Certains des enfants, les plus canailles, étaient bien venus vers lui au début de l'année. Le petit Paul, par exemple, avec ses deux comparses, toujours prêts à tyranniser les plus faibles et passé s maîtres dans l'art de soulever les jupes des filles. Ils avaient bien essayé de le faire pleurer, d'un coup-de-poing par ici et d'un croche pied par là et puis voyant que Joshua ne réagissait pas ils l'avaient oubliés. Même l'instituteur ne remarquait plus vraiment la présence de cet enfant qu'il considérait comme inadapté. 

Au début de l'année scolaire, il avait demandé que soit effectué un examen sur l'état psychologique de l'enfant ainsi qu'une enquête des services sociaux sur ses conditions de vie familiale. Il avait essayé de convoquer les parents, mais chaque fois les rendez-vous avaient été annulés d'un coup de téléphone à la dernière minute. L'enfant n'était ni sourd, ni muet, ses résultats scolaires étaient bons et lorsque l'instituteur l'interrogeait, il répondait toujours avec justesse. Mais sa voix, tout comme le reste de son corps, semblait dépourvue d'émotions ou alors étaient-elles profondément enfouies comme la partie immergée de l'iceberg ? Mais monsieur, l'instituteur avait bien d'autres chats à fouetter ! Et dans l'attente d'une enquête sur le cas de cet élève, il s'était habitué et les mois s'étaient écoulés. À présent, Joshua faisait partie de sa classe, un peu comme un meuble... 

L'enfant était donc assis sur son banc dans la cour de l'école. Il entendait les cris et les rires des autres enfants. Du coin de l'œil, il observait Paul, qui, caché derrière un arbre se préparait à bondir sur sa nouvelle proie. Ce jour-là, c'était sur la petite Suzon, qui sautait à la corde en chantant une comptine : "un, deux, trois, le loup est dans les bois...". Paul bondit sur Suzon ! Et Suzon cria de surprise et se mit à pleurer. Joshua aurait voulu crier, lui aussi, et prévenir la petite fille, mais c'était impossible, il avait promis de se taire ou de ne dire que le strict minimum. Son secret irait rejoindre les autres dans la boîte. La cloche sonna enfin et Joshua se leva pour se ranger avec les autres, seul et au bout de la file. Devant lui, il y avait Thibault et Jojo qui énuméraient leurs listes pour le père Noël. Les deux garçons chuchotaient et conspiraient la préparation d'un plan pour surprendre le Vieux Barbu à sa sortie de la cheminée. Mais Jojo expliquait à Luc son problème, chez lui, il n'y avait que des radiateurs électriques. Joshua aurait bien voulu leur dire que le père Noël n'existe pas, mais là encore, il risquait de soulever d'autres questions et l'une entrainant l'autre... Il se mordit la lèvre inférieure et resta silencieux écoutant Thibault conseiller à Jojo de laisser les fenêtres ouvertes pour la fameuse nuit. 

À la fin de la journée devant l'école des parents discutaient entre eux tout en guettant des yeux la sortie de leur progéniture. Joshua, comme d'habitude se faufilait discrètement entre eux et prenait la direction des quais. Longeant le fleuve, il pensa à son instituteur, monsieur Mullet, qui, durant l'après-midi, s'était absenté trois fois de la classe. Lui en avait profité pour se rendre aux toilettes sans avoir besoin de demander. C'est là qu'il l'avait vu, monsieur Mullet, mais lui ne l'avait même pas remarqué. Tant mieux ! 

Il pénétra dans l'immeuble où il vivait depuis quelques mois avec son oncle et sa tante puis fouilla sa poche à la recherche de la clé de l'appartement. Une fois le seuil franchit, il claqua la porte derrière lui et jetant son cartable dans le couloir se dirigea vers sa chambre. Joshua savait que sa tante ne serait pas là avant deux bonnes heures et son oncle travaillait jusqu'à tard dans la nuit. Son goûter pouvait attendre, car il avait des secrets à écrire. Sur son bureau, il prit une feuille de papier qu'il découpa en quatre morceaux puis s'appliqua à écrire. Sur le premier : Paul a fait pleurer Suzon en lui pinçant le bras. Sur le deuxième : le père Noël n'existe pas ! Sur le troisième morceau : monsieur Mullet a embrassé la directrice dans les toilettes. Sur le dernier morceau, il n'avait pas de secret à écrire, mais il garda le bout de papier pour le lendemain. 

Joshua sourit et prit ses précieux morceaux de papier puis se dirigea vers son armoire. Là, sous un amas de linge il se saisit d'un coffret en métal et fouilla à nouveau sa poche pour en sortir une petite clé. Dans ce coffret, tous ses secrets ! Avant d'y déposer les nouveaux, il prit le temps de relire certains de ses préférés : tata est tous les mardis soir avec le voisin Gérard ; monsieur Mullet a embrassé la maitresse des CE1 dans les toilettes ; papa et Maman sont au Mexique ; c'est papa qui a cambriolé la Banque de Paris. Le coffret sera bientôt rempli, pensa alors Joshua en refermant le couvercle puis il enfouit son trésor dans l'armoire et s'en alla goûter. 

 

                                                                                           Fin

 

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08/10/2014
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